En nous voyant arriver avec tout notre matos, le gérant du télésiège a vite compris qu’on est pas venu en Suisse pour faire du pédalo.
“Oui, Etat de choc. Vous l’avez déjà fait?” questionnons-nous, espérant quelques renseignements sur la voie… “Ah non, ça je vous le laisse”.
Peu de temps auparavant, alors que nous cherchions un endroit pour se faire de l’expérience en grandes voies, Phil est tombé sur un topo dans lequel il était indiqué :
«Le Petit Clocher du Portalet, c’est le Yosémite à domicile ! Dièdres et fissures en granit parfait, escalade sur coinceurs, gaz… Tout ce qu’il faut pour bien faire.» Notre choix est fait, la préparation idéale, car tous deux, nous avons des tickets pour le Yosemite qui nous attendent… et une leçon ou deux en coinceurs sur granit sont bienvenues.
C’est à Champex en Suisse, pas loin de la frontière entre la France et l’Italie que nous prenons le télésiège pour monter à la Breya. De là, chargé comme des mules, nous attaquons 3 bonnes heures de marche d’approche pour arriver à notre camp de base à 2700 m, pas loin de la cabane d’Orny. Bivouac plutôt que cabane, car rien ne vaut l’autonomie totale en montagne. De plus, au Yosemite, dans les parois de mille mètres qui prennent plusieurs jours à gravir, nous n’aurons pas le choix. Première leçon valable: huit bouteilles d’eau, de la soupe en carton, légumes et fruits frais, yaourts, une bouteille de vin, … nous avons vécu comme des rois, mais au prix d’une marche d’approche douloureuse.
Après notre installation, attaque directe de quelques voies d’une à deux longueurs sur coinceurs pour se mettre dans la « vibe ». Et le lendemain, après une petite baignade dans le lac juste à côté du glacier, la première longue voie du séjour « L’arête sud-est » du Petit Clocher du Portalet – 300m avec des longueurs allant jusqu’à 6c. Une mer de granit, des dièdres d’une super qualité et une superbe ambiance avec le glacier juste en dessous : une très belle voie pour se mettre en confiance sur du granit.
Mais la voie pour laquelle nous sommes là, celle qui nous donne la chair de poule en entendant son nom, c’est « Etat de Choc » (ED: 7b; 6b+/c Obl) . Une voie de 250m ouverte entièrement sur coinceurs par les frères Remy, en 1983. La ligne la plus évidente du Petit Clocher : une grande fissure de bas en haut.
Philippe part dans la première longueur en 4c pour rejoindre la fissure mais se trompe d’itinéraire et se retrouve dans un tas de blocs super instables où il se fait une bonne frayeur en partant presque avec un bloc de la taille d’un frigo. Après trois longueurs au lieu d’une pour rejoindre la fissure, et ayant perdu pas mal de temps, nous hésitons à continuer mais décidons d’essayer encore les deux prochaines longueurs. Heureusement pour nous, sans relais installés dans la voie, nous n’avions d’autre choix que de sortir la voie ou abandonner des coinceurs au relais… Le point de non retour était passé!
Les longueurs qui nous faisaient le plus peur étaient les longueurs où la fissure prenait la taille « Ofwith » comme on dit au Yosemite : une fissure trop large pour coincer le poing de la main mais trop étroite pour ramoner, où avec une épaule et une jambe coincées dans la fissure, l’autre partie du corps est dans le vide et cherche désespérément à prendre appui sur des prises qui n’en sont pas, où chaque millimètre compte, une bataille d’enfer, avec des endroits où il faut s’engager dans une fissure trop grande pour y mettre des coinceurs. Dans une longueur en 6c, une cheminée qui s’étrécit et dont il faut sortir afin de la prendre en dülfer, mon casque se coince, agrippé par la fissure comme par les dents d’un crocodile qui ne veut pas lâcher sa proie… je suis un coinceur vivant… “Phil, je suis coincé!!!” ai-je hurlé en me disant que si je tombais, mon casque m’étranglait. En frappant dessus avec le poing, je réussis à le désencastrer. Et c’est en criant que je parviens à sortir de la fissure pour la prendre en dülfer. Chaque longueur est comme un exploit incommensurable et se termine par un profond cri de victoire.
Malheureusement l’obscurité commence tout doucement à s’installer dans cette face Nord qui nous met à rude épreuve… Ne voulant ni bivouaquer au sommet ni faire les rappels dans le noir, nous décidons de contourner la longueur en 7b par un 5c/A0, juste à côté. La dernière longueur est la seule à être équipée ce qui me permet de la grimper rapidement mais je ne peux pas me défaire d’un sentiment de tristesse car l’ambiance de l’escalade sur coinceurs n’est plus présente. Heureusement que nous avions fait les rappels la veille parce qu’après une petite fête de victoire au sommet, notre descente s’effectue à moitié dans le noir. La précision est de rigueur!
Le lendemain, content d’être vivants nous nous contentons de grimper quelques voies sportives pour le plaisir. Je vous conseille vivement cette voie extraordinaire, mais vous trouverez également des secteurs de tous niveaux (Aiguille de la cabane, Aiguille d’Orny avec un 6a de 270m, …).
En ce qui concerne « Etat de choc »: respect aux frères Remy, des hommes de vision!
Sean Villanueva
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