……. plonge dans 20 ans de souvenirs et nous raconte la naissance de la salle TERRES NEUVES, première salle d’escalade « Indoor » Un concept qui rapidement va se développer en Belgique, puis en Europe et actuellement un peu partout dans le monde.
Hoeilaart, été 1986, 4h du mat’. La musique est forte et nous emporte, l’alcool coule dans les gorges déployées, la fumée des cigarettes and c° nous embrume et nous saoule. Bizarrement, j’ai une pensée pour notre voisin à l’Audi diesel, qui nous empeste tous les matins avec sa sale habitude de « faire chauffer son moteur » une demi heure avant l’heure, jouant de la pédale d’accélérateur en attendant sa femme et sa fille, toujours en retard bien sûr. Je n’aime pas les Audi ! Je souris en regardant de l’autre côté de la pièce mon colocataire garagiste Marco perdu dans une conversation de bielles ou de carrosserie peut-être… Lui aussi doit être content. Je sens une main sur mon épaule. Marc est là, avec un grand gars maigre, tout de noir vêtu, le joint aux lèvres. Ils me parlent. Je ne comprends pas grand-chose mais crois reconnaître ce type. Je regarde leurs lèvres bouger. Ils semblent se comprendre et cela paraît intéressant. Paul ? Jacques ? Non ! Michel ? Je suis encore en train de chercher son prénom quand Marc me demande si c’est ok pour vendredi, si on n’a rien de prévu. Devant mon regard interrogateur, il abandonne et décide seul. Ok pour vendredi prochain.
Le lendemain, je joue du balai avec Joëlle, Marc range la sono, J’y aligne les cadavres, Marco sourit au voisin… Les têtes sont lourdes. La fête est finie. Une de plus qui restera dans les annales de notre communauté de panomaralaan.
Je vous conte cette fiesta car c’est cette nuit-là que pour la première fois je vis Pierre D’haenens (car c’était lui), entrepreneur, maçon, toiturier, bricoleur, ébéniste, ardoisier et… grimpeur! Et alors me diriez-vous ? Je vous éclaire, puisque ce nom ne vous dit rien : Pierre est le fondateur, avec Michel Van Slijpe et Lambert Martin de la société belge « Alpi-in » : première constructrice de structure artificielle d’escalade, cette société a équipé la plupart des premières salles en Belgique. C’est donc ce vendredi que Pierre nous raconta ses essais de fabrication d’un système de mur d’escalade artificiel composé de panneaux de triplex perforés, résinés, avec des prises non de pierre ni de bois ni de brique ni de béton mais faites d’un mélange de résine et de sable… Je n’ai rien compris aux termes techniques mais, en tant que grimpeuse à temps plein maudissant les jours pluvieux, j’ai été surintéressée : enfin pouvoir grimper dans mon salon ? Au petit-déj ou en after eight ? Et inventer une quantité infinie de mouv’s de mon choix ?
Je connaissais par cœur le mur extérieur de l’Adeps à Woluwé, d’y avoir usé mes doigts, mes mains sur son béton arrache-peau et ses briques savonneuses aux côtés de Pico, Jean-Marc, Jean, Alec, Arnould… On n’en pouvait plus de tourner en rond, monter descendre, à une main, un pied, un œil. Lassitude, dégoût presque, mais avec le mur touristoche à mort du Cinquantenaire et le pont glauque et atroce du parc de Woluwé, c’était notre seul lot à nous pauvres Bruxellois. Souvent, de retour vers ma famille Liégeoise, avec Villany, Domi, Lorenzi et Charly… on ponçait ses empreintes et tordait ses articulations sur le mur du Sart- Tilman en se creusant la tête pour trouver de nouveaux mouv’s plus retors encore.
A part ça, c’était tout. Nada. Niet. Nothing else! On prenait donc souvent la Deuch de l’un ou la Diane de l’autre pour rouler 2 heures durant jusqu’à Freyr. Par n’importe quel temps. Et souvent on revenait le rouge aux joues, heureux d’avoir joué avec les éléments, mais aussi parfois rincé, frigorifié, sans le sous ni la croix dans la poche.
L’escalade se pratiquait pour beaucoup dans le but premier d’un séjour en montagne et peu nombreux étaient les grimpeurs qui pratiquaient exclusivement la falaise. Les gars commençaient à bouffer du 8a et les filles du 7a. Arnould, Domi et moi avions déjà participé à 1 ou 2 compét’s internationales en rocher : Arco et Bardonecchia en Italie et Troubat dans les Pyrénées françaises. On rêvait d’une compét chez nous. C’était utopique sur nos rochers et avec nos averses.
Je n’osais donc trop y croire à ce projet de mur de salon, salvateur pour enfin m’entraîner un peu plus sérieusement et être plus confiante face aux Catherine Destivelle, Isabelle Patissier, Lynn Hill et autres charmantes « bêtes » du moment.
Jusqu’à ce dimanche de septembre 86, où « Alpi-in », nouvellement fondé, exposa sa première œuvre à Freyr, derrière le Chamonix : un mur de 6 m de haut sur 3 m de large… mobile ! Grâce à un système de manivelle, il était possible de l’incliner jusqu’à 35°! Tel un Alien devant des terriens méfiants, curieux et intrigués, il était tâté, caressé, agrippé, regardé du coin de l’œil dédaigneux par certains mais surtout détaillé et admiré par la plupart.
La Salle d’Escalade, un nouveau Concept
A l’époque, Marc Bott et moi, amoureux de la nature, des voyages, de la grimpe et rebelles au travail d’intérieur forcé de maître nageuse et de décorateur de magasins, avions un an auparavant fondé l’asbl « Evasions Verticales », siège social à panomaralaan. Nous proposions des sorties en falaise et en montagne « En Belgique et à l’étranger », comme spécifiaient nos petits prospectus confectionnés avec enthousiasme et conviction. Tous les dimanches, nous emmenions l’un ou l’autre à Freyr : un avocat, en mai et juin voulant chaque année faire meilleure figure face à son guide suisse, un gamin introverti de Tourinne-la-Grosse qu’il fallait aller chercher et ramener avant 6h du soir. Et les stages en Oisans, sur les pentes neigeuses des Ecrins ou des Agneaux. C’était bien. Certains sont encore là, à la salle pour le conter. C’était bien. Mais lourd, risqué parfois et …pour un maigre butin.
C’est pourquoi, quand Pierre nous proposa de louer ensemble un bâtiment dans le centre de Bruxelles afin d’avoir sur le même lieu l’atelier de construction et les grimpeurs… nous avons dit oui !
15 janvier 87, le n° 28 de la rue Terre Neuve est loué. Une ancienne usine de chaussures. La colonne centrale était telle que vous la connaissez actuellement mais entourée complètement de quatre paliers bordés de balustrades sur 2 étages. Le rez-de-chaussée fut séparé en 2, avec « Alpi-in » sur l’espace de ce qui est actuellement le bar et le grand toit. La conception des prises revenait principalement à Jean-Marc Arnould, engagé dès le début, pour son expérience de falaisiste. Les moules de prises se remplissaient de résine, les panneaux se perforaient, les tee-nuts s’enfonçaient, les structures d’acier se soudaient… Sur l’autre partie trônait le mur mobile, attendant d’être vendu. Les copains bruxellois et liégeois venaient tester les nouvelles prises et, malgré (à cause de cela aussi peut-être) les vapeurs épouvantables de résine, nous étions tous euphoriques.
Le but était bien sûr d’installer un mur fixe, permanent. La motivation et le projet étaient là mais pas les tunes! Fallait donc exploiter notre moitié de location pour financer ce mur : Les locations à Bruxelles n’étaient pas encore exorbitantes comme maintenant mais n’empêche, les 12.000 fb, fallait les sortir tous les mois.
On décida donc de demander une cotisation aux grimpeurs venant grimper sur le mur mobile 2x4h semaine. Un abonnement annuel, un fixe. Je pense que nous avons opté, après beaucoup d’hésitations et de discussions pour 1000fb. Mais, devoir payer pour grimper était nouveau pour tous. Seule existait la cotisation annuelle du CAB qui donnait l’accès aux falaises, droit à une assurance et à des réductions dans les refuges, ce qui intéressait beaucoup plus les montagnards que les grimpeurs. On a flippé un moment. Vont-il accepter de payer pour grimper dans ce bâtiment glauque, puant et bruyant ? Vont-ils avoir envie de venir s’enfermer, de se faire violence sur ces panneaux de bois? Vont-ils trouver cela aussi plaisant, envoûtant que l’espace, la hauteur et la majesté de Freyr ? Certains nous prenaient pour des fous, des inconscients. On les a écoutés ces jaloux, ces négatifs, ces conventionnels, le sourire aux lèvres et la crampe au ventre. Et,…Philippe Leloup fut notre leader. Pour ceux qui l’ont connu, vous pouvez imaginer sa courtoisie quand il versa sa cotisation et sa sincérité quand il nous souhaita une bonne continuation. Puis les autres suivirent, des quatre coins de la Belgique, d’Allemagne, de Hollande, de France et du Luxembourg !
Ce fut le début d’une collaboration mémorable, d’un boulot considérable. Tous étaient animés par la même envie d’innover, d’investir, de construire. L’asbl « sélété » dirigée par Pol Van Sint Jan (oui, le père de Serge et Michel, Gasp pour les anciens), qui s’occupait de jeunes en difficulté, s’est jointe à nous. On avait une énergie débordante, une motivation d’enfer et, très rapidement le premier mur fixe s’éleva, vertical, entre les deux colonnes cylindriques de soutien du bâtiment, à gauche, sur toute la hauteur de la salle : 11m de haut sur 4,5 m de large. L’accès au mur se faisait par un escalier qui menait au premier étage, où les grimpeurs étaient accueillis au bar (rapidement construit aussi !), situé dans la pièce derrière le nouveau dévers (cordes 20 et 21 actuellement) puis, par un des paliers, un autre escalier de bois, très large les menaient au centre de la salle.
Le Concept de la salle d’escalade indoor privée était née. Une première mondiale !! Suite dans le prochain numéro…
1988 : le premier championnat de Belgique d’escalade en salle ! 70 grimpeurs envahissent la salle pour s’arracher le premier titre de Champion de Belgique….
Isabelle Dorsimond