En spéléo, les salopettes de toile sont remplacées par des salopettes étanches en PVC, les rappels sur l’épaule sont remplacés par les rappels sur descendeur et baudrier. Fini les fastueuses séances d’assurance au-dessus des puits, les spéléos deviennent autonomes et progressent assurés par un bloqueur placé à la ceinture. Finies les grosses expéditions, commence l’ère des explorations légères en petites équipes !! Ces méthodes entraînent aussi de nouveaux risques et demandent des réflexions et mises au point pour réduire ceux-ci.
Jean Claude Dobrilla, spéléo grenoblois membre du groupe Fontaine La Tronche, nous raconte dans quelles circonstances, avec les spéléos belges du Centre Routier Spéléo, a été mise au point la technique de dégagement d’un spéléo bloqué sur une corde.
Félix Ruiz de Arcaute est mort le 24 Juillet 1971 d’une crise cardiaque. Il avait 43 ans. Il participait à l’expédition commune CRS-FLT au Lonné Peyret.
Tout s’était passé très vite, trop vite… Alors qu’il remontait à l’échelle sous une petite cascade, il s’était immobilisé, frappé par un malaise.
Au sommet, Alain Marbach n’avait rien pu faire pour le tirer de cette fâcheuse posture.
J’avais quitté l’expédition quelques jours plus tôt et j’étais de retour pour le secours. A la place du bon vivant que j’avais laissé, je trouvais un gisant, immobile à jamais, dans un brancard.
19 Août, je suis invité par le CRS à participer à l’encadrement du premier stage aide-moniteur spéléo belge. Ce stage se déroule du 19 au 29 Août au refuge Norbert Casteret qui se trouve à Mont Godinne, entre Namur et Dinant.
Au cours de ce stage, la mort de Félix est au centre des discussions. Alain est un bon spéléo et pourtant, il n’a rien pu faire pour dégager Félix qui est resté sous la cascade. Nous savons que Félix est mort d’une crise cardiaque et que son dégagement n’aurait rien changé. Mais il peut y avoir d’autres cas…
Peut-on trouver une méthode permettant de porter secours à un équipier pendu sur son bloqueur ? A cette époque, nous ne connaissons que la méthode d’auto-dégagement mise au point par le FLT, en cas de rupture de l’échelle.
Adeptes de l’exploration en équipes de deux, nous pensons qu’il faut trouver une méthode simple permettant à un homme seul de porter secours à son coéquipier.
Elle doit être applicable par un équipier de poids inférieur au blessé, utilisant l’équipement qu’il a sur lui habituellement et sans modifier les amarrages.
Tout le problème est de soulager le poids du blessé pour enlever le bloqueur en tension sur la corde. Il ne reste plus qu’à étudier tout cela en situation réelle
Le centre routier de Belgique a construit une tour en bois derrière le refuge. Haute de dix mètres, elle est utilisée pour la formation des jeunes et également pour l’entraînement.
Un après-midi, après un bon repas, avec Joël Martin, nous décidons de passer aux exercices pratiques sur la tour.
Deux heures plus tard, la méthode de dégagement est au point.
Un mousqueton et une longe sont suffisants pour mettre en place un système permettant de soulager l’accidenté et d’ouvrir son bloqueur. Une fois la manœuvre terminée, le sauveteur et l’accidenté descendent sur le même descendeur.
Il ne restera plus qu’à l’enseigner par l’intermédiaire des stages.
Extrait du texte : Comment trouver une méthode de dégagement?
Jean Claude Dobrilla
Ayant organisé l’expédition de 71 au Lonné Peyret, j’avais été fort touché par l’accident de Félix et son sauvetage. La mise au point de la technique de dégagement en réponse directe à la mort de Félix était une manière plus sereine d’envisager l’avenir. Encore fallait-il posséder la technique et pouvoir l’appliquer rapidement dans des conditions de stress. Comme en montagne, il ne suffit pas de connaître la théorie de dégagement d’une chute en crevasse pour pouvoir réaliser cet exercice périlleux en situation réelle. Seule une pratique régulière permet d’avoir une chance de réussir.
Devenus moniteurs spéléos, et encadrant régulièrement les stages ADEPS, nous avons enseigné la pratique de cette technique que nous entretenions par des exercices réguliers.
En avril 73, je devais vivre un événement spéléo très engagé lors d’une sortie dans le réseau des Siebenhengste en Suisse. Je suis avec Babeth, mon épouse, Pierre, mon beau-frère et Michel Vanneste, un autre moniteur. Notre objectif est de descendre au bas des deux premiers puits de 80 et 100m pour montrer le début du réseau à Babeth et Pierre.
Après l’arrivée sans encombre à la base du P100, un beau méandre nous conduit dans la galerie des amours, la porte d’un grand réseau de plusieurs km. La remontée est rapidement entamée car le bas du P100 est bien arrosé, ce qui veut dire qu’il pleut en surface et que le débit pourrait augmenter. Les puits sont équipés d’échelles spéléos que l’on remonte assuré avec un frein à la ceinture. Le P100 est fractionné à 50m ce qui permet de démarrer dès que le précédent a passé le fractionné. Michel entame la remontée, suivi de Babeth….dès que celle-ci a dépassé le fractionné, Pierre démarre…Pour remonter un P100 il faut compter ± 30 à 45 minutes par personne. Cela fait bientôt 1h30 que j’attends au bas de ce P100, un fond de ± 7m de diamètre, arrosé et froid. De temps en temps j’appelle Pierre, qui me répond que tout va bien, mais bientôt il ne répond plus ; je vois sa lumière qui ne bouge plus, il doit être au fractionné.
Je me décide à aller voir ….Arrivé à sa hauteur, je constate qu’il n’a pas su retirer son bloqueur coincé contre le nœud du fractionné. Arrosé par la cascade, il est inconscient. Il faut faire vite ; utilisant la technique si souvent répétée, j’arrive rapidement à le dégager, à défaire le fractionné de manière à le laisser pendre en dehors de la cascade sur la corde libérée, pour pouvoir le tirer du haut du P100. Je passe au-dessus de lui, arrive au sommet du P100, installe un palan et commence à le tirer… le haut du P100 est sec, cela fait du bien de ne plus être sous la pression de l’eau, mais la sortie du puits présente un plan incliné qui provoque un freinage important. Après 10 minutes d’effort violent, je me rends compte que malgré le palan, la remontée de Pierre va être difficile et trop lente. Il ne me reste plus qu’une solution et elle ne m’enchante guère! Je dois le redescendre au bas du puits et remonter chercher du secours ! Je sais aussi que la technique pour le détacher de la corde et descendre à deux sur un seul descendeur est délicate à réaliser sous la cascade et qu’à la moindre erreur nous y resterions tous les deux…. mais je n’ai pas d’autre choix et me voilà reparti vers le bas. Arrivé à sa hauteur, je réutilise la technique du transfert et dégage la corde pour la descente….je commence à fatiguer et mes mains sont de plus en plus froides et insensibles à cause de l’eau qui nous éclabousse. Enfin tout est dégagé et la descente à deux sur un seul descendeur nous ramène au bas du puits. J’installe Pierre à l’endroit le plus sec que je trouve, le frictionne, rallume nos lampes à carbures, et immédiatement la chaleur de la flamme nous fait un bien fou…Pierre reprend conscience. Je dois maintenant remonter au plus vite pour prévenir la surface de la situation. Après 5 m de remontée, je suis pris d’un crampe à la main droite….c’est la première fois que cela m’arrive et je suis obligé de redescendre et de me masser les mains avant de pouvoir repartir…P100…P80…à la sortie du puits, j’entends la voix de Michel, qui inquiet de ne pas nous voir est revenu sur ses pas…la jonction est faite, les secours vont pouvoir s’organiser…
J’ai souvent repensé à cet événement, gravé dans ma mémoire et qui aurait pu très mal se terminer. Dans ce sport, nous évoluions souvent sans le savoir sur le fil du rasoir, mais à cette époque nous étions jeunes, en bonne forme, et sûrs de posséder la technique !
Il faut toujours entretenir sa technique : peut-être qu’un jour elle pourra servir dans des conditions difficiles…
Lambert MARTIN