Les minutes et bientôt une puis deux heures passèrent et toujours personne à cette table – curieux donc. Soudain, alors que le jour était tombé depuis un temps certain, apparurent trois silhouettes, visiblement bien heureuses de leur journée. Des noms fusèrent et celui de Jean-Michel Cambon retint mon attention. Pour tous les habitués du massif des Ecrins, ce nom n’est pas inconnu. Il est en effet l’auteur de plusieurs topos guides d’escalade et d’alpinisme mais aussi l’ouvreur de nombreuses voies dans le massif. Ce soir là, il terminait le rééquipement de « l’Epinard hallucinogène », commencé un an plus tôt, voie en 6b de 500 mètres (13 longueurs), en face sud de la Meije.
Je ne pouvais pas en rester là, et j’ai voulu en savoir plus sur cette personnalité :
– Mais qui êtes-vous Jean-Michel Cambon?
Un ex parisien de 62 ans.
– Quels sont vos débuts en escalade? En alpinisme? D’où vient cette passion? Depuis quand?
Je suis tombé dans l’escalade et l’alpinisme à 16 ans, pour servir d’exutoire à un très maigrelet adolescent.
– Quel est (ou quels sont) vos plus beaux souvenirs dans le milieu alpin? Vos plus belles réalisations?
Plusieurs époques :
La Walker, le Croz, le Fou, la Directe aux drus, … avec Boivin à 18 puis 19 ans… (en 1970/1971/1972).
Puis des ouvertures en Oisans, style « classique » de 1973 à 1982, avec Bernard Francou.
Ensuite des ouvertures sur spits et pitons de 1984 à 1990 et finalement des voies un peu partout sur goujons.
Dans les années autour de 1970, le seul exutoire à l‘énergie des grimpeurs était la haute montagne. Dès les beaux jours, nous attaquions les hautes parois avec fougue et audace, avec le désir d’imiter « les grands » et de voir nos noms s’inscrire dans les colonnes de « La montagne », la revue du CAF qui est restée longtemps la seule source d’information et la référence en matière de hauts faits alpins.
Les voies que nous avons pu ouvrir cette décennie-là demeurent comme de beaux moments, comportant parfois des épisodes intenses et c’est certainement une intense satisfaction que d’être encore vivant pour pouvoir se pencher sur ces instants très forts.
– Avez-vous participé à des expéditions?
Une seule, au Pérou en 1981, avec Bernard Francou et Gian Carlo Grassi
– Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans le développement de l’escalade?
C’est bien sûr l’apparition des nouveaux moyens de protection, spits puis goujons.
– La haute montagne semble être de plus en plus délaissée par les jeunes? Quelles en sont les raisons d’après vous?
Aujourd’hui nous avons d’autres choix que ceux de la haute montagne engagée et cela ne m’apparaît nullement comme une catastrophe nationale. Avant 1980, la seule chose qui existait et digne de nom, c’était l’alpinisme, l’escalade en montagne. Aujourd’hui, l’alpinisme n’est plus la seule référence et pour un jeune public il y a émergence de nombreuses activités plus attractives, l’escalade parmi d’autres …
– Vos topos-guides « Oisans nouveau – Oisans sauvage » sont bien connus des alpinistes de l’Oisans. En quoi le caractérisez-vous de nouveau et de sauvage?
Ce titre date de 1990, c’est évidemment en référence aux spits. Une grosse majorité d’escalades ouvertes assez récemment bénéficie d’un équipement correct, bien protégé et favorisant une escalade rapide et sereine. « Oisans sauvage » fait allusion aux vieilles classiques, des itinéraires souvent anciens et se déroulant sur des terrains moins bien équipés.
– Quels sont vos autres passions?
Je suis un vieux trotskiste, et un toujours syndicaliste de base.
Et je me suis toujours (assez) bien occupé de mes 4 garçons.
– Vous impressionnez encore par vos capacités physiques actuelles. Le travail de rééquipement de voies n’est pas un travail de tout repos. Comment faites-vous pour tenir une telle forme?
J’ai toujours grimpé (à un petit niveau du 6), j’ai toujours couru et fait du ski de montagne l’hiver.
– Ce souci de bien faire, et en plus pour les générations futures de grimpeurs est assez remarquable. Cette « générosité sportive » est-elle innée chez vous?
J’ai d’abord équipé pour moi, mais très vite cela a été aussi pour les autres et mon petit niveau m’a mis en phase avec une bonne quantité de grimpeurs. C’est toujours le cas aujourd’hui, beaucoup de gens grimpent dans le petit 6, ce qui n’intéresse pas les ouvreurs de 7, de 8, de 9…
Merci Jean-Michel, et nous vous souhaitons encore de belles aventures.
Eric Thille