Cet été 2006 elle faisait partie de l’Expédition féminine du Club Alpin Français en Bolivie.
Comment partir pour une expé d’un mois en Bolivie avec moins de 20 kg de bagages? Piolets, crampons et tentes de paroi compris… Voilà le premier défi qu’on avait à relever avant notre départ pour les sommets de la Cordillère Royale. Pour des raisons de budget, l’organisation ne prévoyait pas l’envoi de fret. J’ai même réussi à passer des cordes. Un seul échec, lorsque l’hôtesse m’a fait signe que la corde pouvait me servir à étrangler ou à ligoter un membre de l’équipage! J’étais trop pressée d’arriver à destination: La Paz. Mais nous avons perdu deux nuits, à Madrid et à Sao Paulo, pour cause d’annulation de vol et de correspondance ratée. Piaffements d’impatience dans les aérogares.
Alpinisme hors des sentiers battus.
La Paz est la première surprise du voyage. D’abord l’atterrissage à 4080 m d’altitude sur le plateau d’El Alto, puis la descente vers le centre de la capitale, 500 à 1000 mètres plus bas. Et puis la ségrégation sociale si nette, entre les quartiers pauvres sur les hauteurs et ceux des classes aisées en contrebas, là où les températures se font plus clémentes. Arnaud Guillaume et Toni Clarasso sont nos guides. Compte tenu des disponibilités du groupe au mois d’août, notre choix s’est porté sur ce pays que je ne connaissais pas et plus particulièrement sur la région de l’Illampu. D’allure très alpine, ce massif dispose d’un gros potentiel de voies techniques accessibles rapidement, sans devoir remonter des glaciers durant des heures.
Une fois passés les deux jours d’acclimatation à la Paz pour conjurer les effets de l’altitude – souffle court dans les longues rues en pente –, nous prenons la direction de terres inconnues. Le 6 août : départ en 4×4 pour rallier la petite bourgade de Sorata, au pied de la montagne, à 200 km au nord-ouest de La Paz. Se bousculent dans ma tête des tas d’images de cette grande expérience : les lamas et les vigognes, les grandes étendues de l’altiplano, les cholitas – ces paysannes indiennes, chapeau melon sur la tête et jupons colorés à la taille –, le mythique lac Titicaca… À notre arrivée, Sorata semble déserte. Brève inquiétude. Toute la population s’est en fait rassemblée sur la place centrale plantée de palmiers pour la fête de l’indépendance de la Bolivie. Tenues militaires pour les garçons armés de jouets ou de tambours, habits de majorettes ou costumes traditionnels pareils à ceux de leurs mères pour les filles. Le lendemain, l’animation et le doux climat de Sorata laissent bientôt place à une vallée aride aux versants cultivés, jusqu’au lac de Chilata (4200 m). Deux jours de trek en compagnie des mulets puis des porteurs qui acheminent les provisions et le matériel vers le camp de base dressé à Laguna Glaciar (5050 m). Nous sommes arrivés devant un cirque de montagne présentant un potentiel exceptionnel dans différents styles de grimpe (du couloir à la goulotte, en passant pas les courses d’arêtes, les éperons). Un beau terrain de jeu, avec peu de voies déjà ouvertes. À la manière des premiers explorateurs d’une région, nous voulions faire de belles choses repérées sur place. Nous n’avions pas pour objectif d’atteindre un seul sommet en particulier, même si l’Illampu figurait au programme. En montant au camp de base, Arnaud a repéré une goulotte-cascade dans les contreforts du point 5505 du Pico Schultz. Ce sera peut-être la première sortie pour demain…
En avant les piolets et le drytooling.
Aussitôt vu, aussitôt fait. Le 9 août au matin, déjà acclimatés par trois semaines de présence en Bolivie, Arnaud, Perrinou et Elisabeth vont “ouvrir” cette très belle ligne face au lac Titicaca. Un trait de 450 m de haut dont 200 m cotés III/4+/M3 avalés avec succès. Le séjour promet d’être fructueux. La vie du camp s’organise. On passe de longs moments à scruter toutes les parois des alentours aux jumelles, à faire des photos que l’on examine en détail à l’aide du zoom. On discute des voies et de la composition des cordées du lendemain. Les guides ne sont pas là pour nous emmener au sommet comme des clientes. Ils doivent nous conseiller dans nos choix d’itinéraires pour éviter des erreurs fatales. Des terrains inconnus comme ceux là demandent beaucoup d’engagement mais il faut garder une certaine marge, on ne peut compter sur aucune équipe de secours. Pendant ce temps, un homme réalise des exploits devant ses fourneaux. Senovio, le cuistot de l’expédition est un cordon bleu. Personne n’en revient de voir servie à plus de 5000 m d’altitude, une fondue bourguignonne à la viande de lama – plateau tournant et petits pots de sauce en prime – une fondue au chocolat, des gâteaux à la fraise (en boîte !), du pain cuit au four, des pizzas, des lasagnes… Franchement, sans lui, rien n’aurait été possible. Le plat de base était le “poulet-pâtes” épicé au cumin. Je n’aimais pas le cumin, donc j’ai évidemment perdu du poids !!! Mais à côté de ça, quelle variété. En haute altitude, on a toujours faim. Et comme on partait en style alpin, très léger, avec deux barres énergétiques pour la journée, on s’est fait des orgies à chaque retour au camp de base. Si on avait dû cuisiner nous même, on aurait tenu le choc une semaine, pas plus. Ruffino, autre membre de l’expédition à part entière, joue le porteur d’altitude pour amener du matériel vers des camps avancés. C’est le cas le 14 août, lorsque un groupe s’engage dans la traversée des arêtes de l’Aguja Yacuma , tandis que le second ouvre une nouvelle goulotte dans la face sud du Pico Schultz (550 m, D+). De très violents orages pimentent ces deux courses et le mauvais temps s’installe. Les tempêtes de vent et les orages nous ont beaucoup gênées. En fait, le meilleur créneau se situe plutôt de fin juin à fin juillet, avec un froid sec, un bel ensoleillement et des montagnes sèches .Le retour dans le village de Sorata marque une pause méritée. Un vrai lit, de vrais WC et un chaleureux décrassage après 10 jours de “toilette de chat” faite à l’eau du glacier plutôt… glaciale. Mais il faut déjà repartir pour s’installer au second camp de base d’Aguas Callientes (4600 m)
Caprices de la météo andine
Ce camp est beaucoup plus confortable, installé dans l’herbe d’une tourbière et son seul nom est déjà plus engageant. Il est situé à l’opposé du précédent, de l’autre côté de l’Illampu (6368 m), dont il est prévu de tenter l’ascension par une voie nouvelle. L’expérience d’Arnaud et de Toni sera ici très utile, car entre les photos du topo d’Alain Mesili – guide français installé dans les Andes –, et la réalité du terrain, rien n’est pareil. Le retrait glaciaire a bouleversé le paysage et la voie d’accès à l’arête nord-est de l’Illampu, théoriquement débonnaire, est maintenant occupée par un chaos de séracs peu fréquentable.
Il faudra renoncer et s’orienter vers la voie normale. Le 25, nouveau départ pour ce sommet qui devait être la cerise sur le gâteau de l’expédition. Mais là encore, la météo fut terrible. Arrivées au col qui mène à l’arête terminale, 4 filles ont essayé de tenter le sommet mais les rafales de vent étaient d’une violence inouïe. À quatre pattes, elles ont tenté de faire quinze mètres en direction du sommet. Et puis, elles ont renoncé pour se rabattre sur l’Huayna Illampu (5950 m), l’antécime de notre objectif. Il faisait un froid perçant à cause du vent : -5°C dans les doudounes. Avec Toni, je suis arrivée au sommet, un des moments forts de l’expé que je retiendrai. Notre retour fut bien mérité !!!!