Cette impression toute simple de vivre pleinement, d’être en harmonie avec la nature qui nous entoure, de pouvoir palper l’insaisissable, remplir mes poumons d’une atmosphère limpide, me sentir du vent dans les voiles une fois vaincue cette colline, percevoir l’adrénaline après avoir franchi le passage difficile d’une voie d’escalade. Une autre dimension essentielle au bien-être que me procurent les activités de plein air, c’est cette symbiose qui s’installe pour quelques heures, quelques jours avec différents partenaires d’aventure, qu’il s’agisse de personnes que je n’avais jamais encore rencontrées ou avec lesquelles j’entretiens depuis longtemps une relation d’amitié simple et profonde, parfois aussi un compagnon de vie.
Et quand l’occasion se présente, quelle joie de se retrouver en fin de journée à partager, autour d’un verre, d’un repas parfois préparé ensemble, nos impressions sur la journée écoulée ! Je ne cherche pas absolument à me dépasser et, même si parfois c’est le cas, aussi modestes soient mes prestations, il s’agit tout bonnement de prendre un simple et réel plaisir à me bouger le corps.
Je ne sais si, pour moi, cette aventure a commencé à l’âge de dix-huit mois en Italie ; mais c’est avec mes parents que j’ai découvert, sans réellement m’en rendre compte, les plaisirs du camping. Un vrai calvaire pour ma mère qui détestait dormir sous tente ! Quand, plus tard, nous évoquions des souvenirs de vacances, mes parents s’amusaient beaucoup à raconter que, malgré mon jeune âge, j’avais pris pour habitude de m’éclipser sans que personne ne s’en aperçoive et qu’après quelques minutes, je retrouvais sans problème notre tente. Je me souviens, aux détours des sentiers qui parcouraient le camping, avoir croisé un boxer toujours prêt à me gratifier d’un coup de langue, plus loin, avoir reçu des raisins que je recueillais dans mon tablier, ou encore aller à la rencontre de chèvres qui, dans leur enclos, venaient à moi pour que je leur donne quelques feuilles cueillies sur mon chemin. Autant de témoins de premiers souvenirs d’escapades combien précieuses ! À dix-huit mois, quelle audace que de partir ainsi à l’aventure et surtout quelle angoisse pour mes parents !
D’été en été, mon père accrochait à la voiture notre caravane (bien plus confortable pour maman !) et nous partions pour un mois découvrir la France, l’Italie, l’Espagne, la Yougoslavie ou encore l’Angleterre. Chaque fois, nos voyages se partageaient entre farniente et longues promenades. Il y avait aussi ces soirées durant lesquelles nous nous retrouvions, hôtes d’un soir ou amis de plus longue date, à discuter ou à découvrir un jeu de société à la lumière d’une lampe à gaz.
La vie a fait que, passée l’adolescence, je n’ai plus eu l’occasion de voyager : trois enfants, un compagnon plutôt casanier remplissaient agréablement ma vie, mais ne m’offraient pas la possibilité de prendre conscience que les activités de plein air allaient devenir quelque chose d’essentiel pour moi. C’est plutôt par hasard que j’en suis venue à la grimpe. Durant un stage de vacances, mes deux aînés ont eu l’occasion de tâter leurs premières prises en surface artificielle.
Vu leur enthousiasme, ils ont commencé à grimper régulièrement en salle. J’ai bien essayé, moi aussi, mais ce ne fut pas la révélation. Trop de nouvelles sensations, la responsabilité d’assurer son partenaire me laissèrent un sentiment d’inconfort et d’insécurité. C’est quand mes enfants ont commencé la pratique de l’escalade en rochers qu’une sorte de déclic s’est produit. « Ça, il faut que je fasse », me suis-je dit. C’était une sorte de révélation. Rapidement, j’en suis venue à grimper régulièrement tant en salle qu’à l’extérieur. Les marches d’approche, parfois assez longues, dans le sud de la France me firent découvrir de magnifiques paysages et, si mon manque de condition physique faisait battre mon cœur à cent à l’heure, le plaisir de découvrir de nouvelles sensations me faisait vite oublier l’effort qui devait être fourni pour atteindre le pied des voies. Mes trois premières longueurs en grande voie, à Saoû dans la Drôme, me laissent un souvenir qui, aujourd’hui encore, me donne le sentiment d’avoir réalisé quelque chose d’exceptionnel. Je me souviens que j’étais complètement épuisée tant par l’effort physique que par cette forme de stress que peut susciter la découverte d’une activité inhabituelle. À cette époque, je ne savais pas encore que d’autres voies allaient me procurer un plaisir intense.
Ma première randonnée de dix-sept kilomètres au départ de La Hulpe me laissa, elle aussi, épuisée et percluse de courbatures pour tout le début de la semaine. Par la suite, un week-end de randonnée au Luxembourg me permit de m’essayer à deux jours consécutifs de marche, soit plus de 40 km au total. Un sac trop volumineux, trop lourd, rempli d’un tas de choses dont je n’ai jamais eu besoin, me scia les épaules. Une ampoule au pied droit (oui, c’était bien le pied droit, je m’en souviens très bien) a fait que je fus incapable de m’arrêter. Pour attendre les retardataires, certainement pas affligés du même inconfort, c’est en continuant à piétiner le sol que je parvins à supporter la douleur, la position statique debout m’étant insupportable.
Mais comment éprouver du plaisir à s’imposer de telles contraintes ? De magnifiques paysages, une ambiance des plus conviviales, des liens d’amitié qui se nouent… et le tout procure rapidement un goût de trop peu quand ces moments ne se répètent pas régulièrement. Progressivement les parcours devinrent plus longs, plus accidentés et des envies de terrains plus escarpés et plus insolites se firent sentir. Revues et topo-guides de randonnée et d’escalade encombrent les rayons de ma bibliothèque et la poussière n’a pas le temps de s’y attarder. Des projets d’escapades lointaines ou plus proches se dessinent.
Mon émerveillement est continuellement renouvelé et j’éprouve tant de plaisir à découvrir, aux détours d’un chemin, des choses aussi différentes qu’un champignon vêtu de magnifiques couleurs, un panorama insoupçonné, une prairie en fleurs, l’odeur du blé fraîchement moissonné, un bâtiment industriel désaffecté. Chaque fois que je peux, je fais le plein de sensations pour « tenir » jusqu’à la prochaine escapade. Moments de plénitude où le temps semble s’arrêter pour me permettre de me ressourcer. En escalade, j’aime découvrir de nouvelles voies et résoudre les petites énigmes d’un parcours plus technique. Gérer le stress et poursuivre mon parcours pas à pas, en faisant confiance à celui ou celle qui « en bas » s’est transformé en ange gardien. J’apprécie aussi de faire découvrir aux novices les plaisirs et vertiges que déjà procurent des voies « plus accessibles » en espérant pouvoir leur faire partager l’enthousiasme qui m’anime.
Je ne sais pas si, en ces quelques lignes, j’aurai réussi à exprimer ce que vous aussi peut-être avez déjà ressenti « au grand air » ; mais ce qui est certain, c’est que j’aurai pris grand plaisir à laisser mes doigts trouver mes mots sur le clavier et à vous communiquer ces quelques émotions. Tant de choses sont encore à écrire et j’espère vous retrouver d’ici quelque temps pour vous faire partager l’un ou l’autre de mes parcours. Mais je voulais aussi profiter de cette occasion pour remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont fait et font qu’aujourd’hui mes activités de plein air nourrissent mes projets et rêves. La liste de ces personnes est déjà bien longue, mais elle ne fera sans doute que s’étoffer. Cette convivialité est aussi un des plaisirs essentiels du partage indispensable à la pratique de l’extérieur tel que je l’entends.
Monique Élias