Le photographe « Boulder Photography » alias Werner Van Steen n’était pas un inconnu dans le petit monde de l’escalade…Fin des années 80, il a fait partie du top des grimpeurs belges …Passionné de photo, il est devenu un photographe de génie parcourant les quatre coins de la planète.
Lambert Martin
Bonjour Werner,
L’occasion est belle, de faire le bilan sur ton parcours de grimpeur /photographe que je trouve hors du commun. A quelle époque et comment as-tu commencé l’escalade ?
Enfant, je grimpais beaucoup aux arbres, si haut que je me posais parfois quelques questions sur le diamètre des branches sensées me soutenir…et sans protection bien sûr…
C’est en 1977, lors d’un voyage en Autriche avec mes parents que j’ai découvert les premières « vraies » montagnes ; cela m’a tout de suite passionné. Nous avons fait de superbes promenades, mais très vite j’ai voulu aller plus haut…Deux ans plus tard, c’est presque par hasard que je me suis inscrit au club qui s’appelle actuellement le BVKB et qui entre autres, est à la base du superbe mur d’escalade Klimax à Puurs. A l’époque, ce club comptait à peine 9 membres. Lors d’une initiation à Mozet, j’ai escaladé ma première voie, à l’âge de 11 ans.
A 14 ans, j’ai découvert les premiers livres techniques de Pit Schubert. Comme ils étaient en allemand, j’ai réécrit le livre complet en néerlandais (un dictionnaire à mes côtés), pour comprendre les explications, et j’essayais les techniques sur un des murs de notre maison. Mon père y avait enfoncé de vrais pitons.
Un an plus tard, je donnais des cours de sauvetage sur glacier aux membres du club et on gravissait chaque année un 4000m dans les Alpes pendant les longs weekends du mois de mai. Puis à 16 ans, j’ai suivi un stage de perfectionnement d’escalade sur glace à Chamonix. J’y ai grimpé mes premières faces nord, à la Tour Ronde notamment. C’était en 1983, une année exceptionnelle : un superbe été avec 5 semaines de beau temps ininterrompu … À la fin du stage, je me suis lancé avec un ami dans la fameuse arête Küffner au Mont Maudit. J’étais mort en arrivant au téléphérique de l’Aiguille du Midi, et de retour à Chamonix, je me souviens m’être endormi en plein centre ville sur une petite pelouse.
Comme je n’avais que quelques semaines par an à consacrer à la montagne, l’escalade en falaise commençait à prendre de plus en plus de place dans ma vie. Je sentais que je pouvais y faire de plus rapides progrès. Freyr en particulier me plaisait beaucoup. Fin des années ’80, j’y ai fait la connaissance d’Arnould ‘t Kint, un des meilleurs grimpeurs belges. Ma volonté de me surpasser lui plaisait, et chose à peine imaginable, je suis devenu le partenaire d’escalade du « Roi des falaises ». C’était la belle époque : Jean Marc Arnould et Pico (Pierre Masschelein) entre-autres, ouvraient de superbes voies dans l’Al’Lègne : Vibrato, Schwarzenegger… Avec une volonté sans faille, je m’entraînais très régulièrement et je portais beaucoup d’attention à la nourriture, sans être structuré ni suivi par un coach.
J’ai commis beaucoup d’erreurs : nous avions entendu, à propos des grimpeurs de pointe français, qu’ils mangeaient peu pour peser le moins possible. C’était presque de l’anorexie… Je me souviens d’une époque où je me contentais de 4 pots de yaourt et une poignée de carottes crues par jour… Quand j’ai réussi mon premier 8a en 1988, à 20 ans, je ne pesais que 63kg pour 1m82. Peu après, j’ai réalisé mon premier 8a+ en France puis à Freyr. La voie la plus dure que j’ai faite à vue à cette époque était « No chance with Galoshkies », 7b+/7c dans le Frankenjura.
Quand je t’ai connu à la fin des années 80, tu faisais partie du top 10 des grimpeurs belges en compétition d’escalade Indoor. Que représente pour toi cette époque ?
La compétition n’a jamais été mon truc. J’ai terminé une fois deuxième derrière Jean-Paul Finné au championnat de Belgique en 1989, mais j’ai parfois complètement raté des compets nationales et internationales. Trop de stress. Pour moi l’escalade c’était grimper avec des copains dans la nature, et être ensemble le samedi soir au Cham à Freyr. Un fermier sympa nous laissait dormir dans sa grange, où dormaient parfois 10 à 15 personnes. Ces moments-là m’apportaient beaucoup plus de joie que les compétitions…
Comment es-tu passé de l’escalade à la photo ?
Il y a toujours eu un lien privilégié avec la photo dans notre famille. Mon père avait sa propre chambre noire et développait ses photos en noir & blanc. Pour le stage suivi à Chamonix en 1983, j’avais reçu un petit appareil photo, pour documenter avec des diapos les voies dans lesquelles j’évoluais.
A 23 ans, j’ai été victime du régime strict que je m’étais imposé. Mes muscles manquaient de carburant. J’avais la conviction qu’il fallait encore moins manger pour être plus léger et mieux grimper, et je suis tombé dans un cercle vicieux. C’était très frustrant et j’ai fini par arrêter la grimpe.
Après se sont écoulées des années où j’étais très éloigné de moi même. J’ai commencé à faire de la musculation à fond, puis j’ai fais du karting, du rallye automobile, du karaté,…
Lors de mon premier voyage aux Etats-Unis en 1993, j’ai découvert le superbe parc du Yosemite et c’est là que l’attrait pour la nature m’est enfin revenu… Depuis ce voyage, s’est installée en moi l’envie insatiable de voir le monde. Il a fallu attendre 1999 pour que je fasse un premier voyage purement consacré à la photo. L’année précédente, j’avais parcouru en voiture le légendaire Alaska Highway de Calgary (Canada) à Fairbanks (Alaska). J’ai pu observer les premiers ours noirs de ma vie, parfois juste à côté de la route. Mais quand je rentrais chez moi, je restais sur ma faim, peu satisfait du résultat de mes diapositives. Je ne savais pas encore qu’il fallait éviter le soleil de midi pour tirer des belles photos…
J’ai fini par acheter des livres sur la photographie afin d’acquérir les techniques de base. J’expérimentais sur une grande variété de sujets et j’avais un bloc-notes sur lequel je notais tous mes réglages. C’était encore à l’époque des diapos et des films négatifs argentiques (rien à voir aujourd’hui avec les appareils numériques…). Un an plus tard et quelques milliers de francs belges en moins sur mon compte, j’ai acquis mon premier appareil professionnel (Canon 1V) et mon premier objectif Canon 300mm f / 2,8. J’étais déterminé à retourner en Alaska en particulier pour photographier les ours bruns. J’ai passé une semaine au Brooks National Parc. J’en suis revenu avec cette rencontre de l’ours et du saumon, instantané qui a marqué le début de ma passion pour la photo nature.
A l’âge du digital et de Photoshop, cette photo fut bien sûr mise en question de nombreuses fois. Mais j’ai évidemment pu montrer le négatif d’origine, ce qui a coupé court à toute contestation.
Tes photos ont reçu de très belles récompenses en compétition internationale…
Oui, pour une photo (Quiver trees en Namibie), j’ai reçu la nomination Highly Commended dans la célébre BBC Wildlife Photographer of the Year en 2007. Pour une autre, illustrant le lac de lave du volcan Nyiragongo au Congo, j’ai gagné dans la catégorie Nature Abstracts dans l’European Wildlife Photographer of the Year en 2011.
La patience est une grande qualité pour être photographe de nature ?
Dans ma vie, rien n’a été plus difficile que l’apprentissage de la patience, pour réaliser de bonnes photos de nature. Ce fut très dur pour moi. Adolescent, je voulais tout atteindre le plus rapidement possible, de préférence «hier». Mais dans la nature, tout est déterminé par la Terre-Mère. Il est difficile d’expliquer combien il faut parfois de temps et d’énergie pour la prise d’une seule image. J’ai passé 8 mois à raison de 2 à 3 fois par semaine pour la photo d’un martin-pêcheur, sortant de l’eau un poisson dans le bec ! Pour les animaux, il faut être au bon endroit au bon moment, et si possible sous une belle lumière. Faut-il encore que l’animal ne tourne pas le dos à l’objectif en dernière minute … En montagne, j’ai dû revenir de nombreuses fois au même endroit pour obtenir le résultat que j’avais en tête. Trop de nuages ou pas assez, puis du brouillard, ou encore, la position du coucher ou du lever de soleil n’étant pas idéale, il me fallait revenir à un autre moment de l’année si pas l’année suivante,…
Les photos présentées lors des expositions ou sur mon site web ne sont qu’une petite fraction, le résultat, de tout ce qui a précédé : la planification, la préparation, l’énergie, l’attente du bon moment, la météo, etc. Beaucoup de gens me proposent de « porter mes valises » pour voyager avec moi, mais partir découvrir le maximum d’un pays en trois semaines n’a rien à voir avec un voyage consacré entièrement à la photo. Ironiquement, les photos qui m’ont demandé le plus d’énergie et parfois provoqué beaucoup de frustrations, sont aussi celles qui m’ont apporté le plus de satisfaction par le résultat obtenu. En d’autres mots : déception et joie sont souvent très proches l’une de l’autre dans la photo de nature…
Tu parcours le monde pour ramener des photos exceptionnelles, comment choisis-tu tes objectifs et peux-tu nous expliquer comment se passent tes explos-photos ?
Je prépare mes grands voyages deux à trois ans à l’avance. Quand le temps et l’argent sont là, je me donne à fond pour essayer de les réaliser. J’ai établi une liste de projets, souvent après avoir feuilleté des livres ou des magasines.
Une image me marque, je commence à faire des recherches sur le sujet et puis je laisse mûrir le projet. Après quelques mois, si l’idée me donne toujours autant de frissons, il est temps de passer à la réalisation.
L’erreur commise à mes débuts était de vouloir réaliser plusieurs projets en un seul voyage. Résultat, je devais me rendre à un autre endroit avant d’en avoir fini avec le précédent ! Chaque individu est bien sûr différent, mais personnellement j’ai un plus grand plaisir à finaliser un projet comme je l’ai imaginé, même si ce n’est que pour une photo en 4 semaines de voyage. A tout moment, il faut garder les yeux ouverts et être en mesure de réagir rapidement à tout événement qui se présente. Des années d’expérience m’ont permis de réagir rapidement en termes de réglage pour passer par exemple d’un réglage statique pour une photo de paysage à un réglage dynamique pour la photo d’un animal en course.
As-tu déjà eu peur ?
En 15 ans d’explo-photo, j’ai bien sûr vécu des moments chauds avec les animaux, mais je n’ai pas le sentiment d’avoir vraiment eu peur. Des ours énormes m’ont approchés jusqu’à 3 mètres, à portée de bras des gorilles de montagnes impressionnants, des requins tigre de plus de 4m sont passé juste devant moi, et je n’étais pas protégé par une cage. Mon plus grand frisson, je l’ai ressenti en plongée avec des baleines à bosse dans le Golfe du Mozambique, à l’Ouest de Madagascar. Tout à coup, une baleine est montée des profondeurs bleues ; elle s’est retrouvée devant moi, curieuse, grande comme un autobus. Elle s’est retournée à 180°, a agité sa nageoire caudale, et j’ai senti une force incroyable. En cet instant précis, je me suis senti petit, très petit…, sans même penser à prendre une photo!
Le point fort, c’est le respect de l’animal. Il ne faut jamais forcer une rencontre, bien souvent l’animal vient de lui-même vers moi par curiosité. C’est un sentiment très particulier…
Disons que j’ai plus peur dans le trafic routier. C’est tellement stressant de rouler en voiture, il n’y a pas de respect mutuel et certains conducteurs veulent toujours être les premiers, au détriment des autres. C’est triste, surtout lorsqu’on revient chez soi, après avoir vécu dans la nature.
Tu es devenu photographe professionnel, arrives-tu à vivre uniquement de ta passion ?
Je suis sous contrat avec Getty Images, le plus grand banc d’images au monde mais depuis quelques années, ils subissent aussi la crise. A l’âge des appareils digitaux, la photo est devenue beaucoup plus accessible. Grâce au petit écran de l’appareil photographique, le résultat est vérifié instantanément et les corrections faites si nécessaires. Aujourd’hui, tout le monde se dit photographe. Je connais peu de photographes qui puissent bien vivre de leur passion, surtout dans le domaine de la photo nature. Bien sûr, il y a ceux qui se sont fait connaître il y a 20-25 ans, mais aujourd’hui plus rien de tel. Mes revenus annuels permettent de financer une petite partie de mes voyages et un peu de matériel photo mais sans plus. Depuis peu, j’ai obtenu un contrat avec Zeiss comme ambassadeur et il me donnent de temps en temps une de leur superbes focales.
En dehors de ma passion, je travaille depuis plus de 26 ans comme représentant freelance pour la marque Petzl, représentée avant par Silverscape et maintenant par Alpitec. J’ai la chance de travailler avec une équipe super sympa qui respecte cette passion et me laisse partir plusieurs fois par an, c’est tout simplement super !
J’ai entendu dire que ta copine est également passionnée par la photo nature ?
Oui, Marion (Demanet), grande sportive et grimpeuse également en est aussi folle que moi !
Nous nous sommes rencontrés alors que j’étais au meilleur de ma forme en escalade. Elle a terminé troisième lors du championnat de Belgique en 1990 ; ceci pour signaler qu’elle était aussi très douée en compétition, contrairement à moi. Avant l’escalade, en athlétisme, elle avait été troisième aux 800m à Milan.
Quand j’ai arrêté l’escalade, je l’ai perdue de vue, mais 23 ans plus tard vinrent les retrouvailles, et c’est aujourd’hui le grand amour entre nous. Depuis, nous voyageons ensemble et je lui ai filé le virus de la photo. Elle fait de superbes clichés et n’a peur ni du froid ni des longues attentes ni de faire un bivouac en montagne… J’ai beaucoup de chance d’avoir trouvé quelqu’un avec qui je peux partager autant ma passion !
Quels sont tes prochains projets ?
Cet automne, on part à deux reprises dans l’ouest du Canada. Premier projet : le « Mount Assiniboine », magnifique montagne à apprivoiser avec les couleurs de l’automne. Le deuxième : photographier la montaison* des saumons sous l’eau, qui sera au top cette année!
Où peut-on voir tes photos ?
Il y a mon site web (anglais-néerlandais-français) www.wernervansteen.com
Facebook : www.facebook.com/wernervansteenphotography
*montaison : migration des saumons, qui remontent les rivières sur des kilomètres pour se reproduire