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    ESCALADE

    A peine un abri. 800 grammes de toile siliconée posés sur une mousse dense qui pousse sur les dalles polies et brillantes qui entourent le refuge. 4 sardines et deux sticks, 20 secondes, difficile de faire plus simple… difficile de faire plus précaire… on s’en fout c’est grand bleu, d’ailleurs le coucher de soleil est superbe.

    Pourtant la nuit ne se fait que sur une oreille. Je gamberge. Et si demain il y a trop de cordées dans la voie ? Et si on faisait une autre voie ? Mais nous n’avons pas pris tous les coinceurs, histoire d’être légers. Quelle idée de vouloir faire « visite obligatoire » ! C’est évident que les autres grimpeurs sont aussi venus pour elle, on leur a sans doute dit « c’est à faire ! » ; avec un nom pareil, pas facile d’y échapper !

    8h15 : devant, le couple de Suisses est parti tôt, deux Français nous suivent, c’est faisable ce ne sera pas la cohue. Pas bien réveillé, il me faut 3 longueurs pour me détendre. Quelques mètres plus loin ça y est, ça déverse, ça « gaze » un peu, et en plus c’est « bô » ! Olé !
    Il faut vite se reconcentrer, tout est en arrondi, le granite ne se polit pas mais perd ses cristaux un à un, à chaque bataille. La Dibona vit, et en vieillissant, elle s’arrondit. Amis des aplats fuyants, bon appétit.

    L’enthousiasme venant, je saute un relais pourtant très visible ; les yeux rivés sur la grosse fissure déversante, je salive, tel Pavlov. Aaah, ces grimpeurs de salle…

    Cette longueur est une belle cerise sur le gâteau, elle n’est pas dans la voie, un 6c+ perdu au milieu de toutes ces voies. On ne pouvait pas la laisser seule. Un coup d’œil sur le Rouget. Mais qu’est-ce qu’il fout dans les nuages ce con. Hé ho, vieux, on a dit grand bleu, ça te concerne aussi !!

    10ème longueur, on sent bien qu’on est sur une aiguille, les grimpeurs de la voie Madier sont tout près maintenant et on discute … trop de spits pour ces deux là, amoureux du terrain d’aventure, d’ailleurs ils partent à travers tout pour s’obliger à être créatifs.

    Seule la Dibona est disciplinée, tous les sommets autour sont dans les nuages manifestement mal informés de la météo… on a sûrement manqué de pédagogie.

    Avant-dernière longueur, Sabine me rejoint sous la pluie qui se transforme très rapidement en neige et en grêle, une nouvelle formule du « all inclusive ». Nos chaussons précis prennent une allure ridicule sur les amas de grêle. « Sauve qui peut » par la rampe de droite. Se tirer vite d’ici, ça pue.

    Au sommet, la grêle s’est arrêtée, je me rends compte que le rappel est 10 mètres plus bas sur une dalle en 3 devenue un vrai toboggan de glace plongeant à droite et à gauche, plein pot. Je fais venir Sabine jusqu’à moi que déjà ça grésille autour. D’abord tranquillement, un petit « tic…tic…tic » sur la pointe du rocher à côté de moi. C’est LA pointe, LE sommet de l’aiguille.

    Le « tic…tic » devient vite des abeilles puis un essaim. Tout ce qui m’entoure fait un vacarme pas possible, comme des centaines de lignes à haute tension par temps humide… mes dégaines s’y mettent. Je brasse l’air pour faire signe à Sabine de se magner. Elle ne comprend pas, elle assure ses pas sur la glace. Je m’agite de plus belle, mais reste muet. Surtout ne pas crier, ça peut sûrement déclencher les fusibles. Plus envie de sortir la caméra non plus…

    FLASH ! C’est parti du rocher à 4-5 mètres, là, à côté de moi. Du coin de l’œil j’ai vu l’éclair monter et en même temps le boum juste au-dessus de moi, juste au-dessus ! Les échos le renvoient au centuple. Je suis dur comme du bois. « Putain je vais crever grillé comme un porc ». Je me rappelle ces lectures de montagne où l’on parle du trou laissé par le passage de la foudre, de ces accidents rapportés par Thierry le copain pompier, avec ce gars qui s’est pris 200.000 volts mais qu’ils ont trouvé vivant, tout nu, tous ses vêtements ayant explosé et lui cuit, totalement cuit et qu’ils verront partir sous l’effet des produits que lui injecte le médecin, rien ne sert de faire durer…

    « Merde, je suis toujours ce qui dépasse de cette Dibona de malheur » je me fais encore plus petit, tassé au fond de ce petit creux à côté de la flèche de granite. Sabine arrive, je lui souffle « grouille ça sent la mort ». Je ne lui explique pas la foudre et elle ne pose d’ailleurs pas de question. Elle ne se doute pas que c’est tombé à côté de moi ! Elle me sait trouillard mais là elle sent que ça merde. Depuis le coup de foudre, le grésillement ne s’est arrêté qu’une minute ou c’est l’effet de surprise mais depuis ça recommence et ça augmente encore. « C’est quoi ? » demande Sabine « ben c’est la foudre qui se prépare »…

    Mille questions se bousculent dans ma tête : « pourquoi tout à l’heure, je n’ai pas été plus attirant que les rochers mouillés juste à côté avec tant de matos métallique au cul ? », « Le coup de foudre aurait dû décharger l’aiguille et elle continue de grésiller de plus belle, qu’est-ce qui se passe ? » , « Je suis trempé, assis sur des rochers mouillés et la foudre est tombée à trois quatre mètres et je n’ai pas été électrocuté, c’est quoi le truc ? ». Je me promets de chercher à en savoir plus si on s’en sort.

    La corde gorgée d’eau est comme un fil électrique mélomane, elle grésille, siffle, et fait des vizzzzouuuu quand on la manipule… tout semble dire : « le prochain est pour vous »… Deux rappels interminables, je veux aller vite, je secoue la corde pour la démêler rapidement ce qui aboutit au résultat inverse, quelle idée aussi de faire des relais en métal !

    100 mètres plus bas, sur le névé, la tension retombe, les éclairs sont de l’autre côté de la vallée et ça bastonne encore plus là-bas. 20 minutes plus tard, on a même droit à un p’tit rayon de soleil, c’est tellement différent de ce que l’on a vécu il y a seulement 40 minutes qu’on se demande si on n’a pas rêvé, pardon, cauchemardé ! Tellement détendus maintenant qu’on redescend relax, à ce point zen qu’on mettra deux fois plus de temps que normalement.

    Le soir dans la mini tente, pas moyen de trouver le sommeil, je me refais le film des dizaines de fois, j’élabore des théories fumeuses… « On aurait dû rester à l’avant dernier relais c’est moins exposé, oui mais si ça avait continué de plus belle ? » , « J’aurais dû tirer le matos métallique loin derrière moi, mais il se serait coincé partout et la corde était trempée? », « On aurait dû abandonner le matos, oui mais il faut tout de même un minimum pour descendre, un peu ou beaucoup de métal qu’est-ce que ça change ? », « On aurait dû partir plus tôt, 15 minutes et on aurait fini sur le névé avant l’orage ! » … bref, je mets Paris en bouteille plusieurs fois.

    Las de tourner en rond, je prends notre unique lecture, le topo de Jean-Michel Cambon « Les 300 moins pires ». Pas maso, je ne relis pas les topos mais les encadrés, ces morceaux d’histoire sur les ouvertures et des vies de guides qui ont marqué la vallée… C’est ce qu’il me faut pour me détendre… par exemple page 219 « itinéraire de Narcisse Candau » Guide en Oisans entre 1964 et 1999, et patati et patata…il a pris la foudre en 1977 à la pointe Cézanne, projeté dans le vide inconscient, les secours arrivent néanmoins vite, on le récupère à l’hosto mais il s’en sort avec de grosses séquelles et plus de 10 ans pour pouvoir remarcher. Le point d’entrée de la foudre ? Un rivet sur le casque ! «Mais quelle idée de mettre des rivets sur un casque ??! » heu, à part que, si mes souvenirs sont bons, mon premier casque « Ecrin » justement en était rempli… et celui que j’ai là ? Je fouille mon sac, réveille Sabine… Ben merde, il en reste encore deux ? Assassins ! Bref une nuit infernale.

    Me voilà devant internet : pour me rassurer j’y apprends que : « la foudre est le danger majeur : avec 10 à 100 millions de volts et 25 000 ampères, il est très difficile, en cas d’impact au sol, de se soustraire au risque et les chances de survie lorsque l’on a été touché sont infimes ». Que les cordes mouillées sont de très bons conducteurs de foudre. Plus positif, j’apprends que seul 1% des accidents de montagne sont liés à la foudre et qu’à peu près 1000 personnes sont tuées par la foudre chaque année dans le monde ; bref rien comparé à la malaria ou les accidents de voiture.

    J’y apprends que l’on peut aussi mourir parce que l’on est projeté dans le vide, en fait c’est plutôt la victime qui s’y « jette » avec la tétanisation violente des muscles sous l’effet du courant.

    J’y découvre aussi que le métal n’attire pas plus la foudre mais comme il est bon conducteur, si le courant passe dans le coin, il cherchera à gagner du temps en passant pas là en causant fortes brûlures ou une entrée vers le corps. Mais aussi que la foudre tombant sur un arbre peut vous « sauter » dessus pour continuer son chemin vers le sol en cherchant le chemin de moindre résistance. Ce type de foudroiement indirect est même beaucoup plus fréquent que l’impact direct. Enfin, et cela fait froid dans le dos, que la foudre peut précéder de plusieurs kilomètres un orage frontal et tomber littéralement du ciel limpide.

    Et les réponses à mes questions ? Ce n’est pas simple. On trouve pas mal d’infos sur les différents types d’impacts et les effets des courant de sol, pouvant aussi être dangereux lorsque vos pieds sont écartés (créant une différence de potentiel le courant peut alors vous traverser). Par contre, il n’est pas facile de savoir si un sommet se décharge complètement en prenant la foudre. Ni pourquoi ces courants de sol ne nous ont pas rôtis ? Il semblerait que dans notre cas, le courant ait suivi l’une des fissures gorgées d’eau qui filait vers le sol et que le fait de n’être pas complètement trempés nous a sauvés, mais cela reste une hypothèse ?
    Stéphane Desgain

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