LA GRANDE TRAVERSÉE DES ALPES DU SUD
Le peu de fréquentation est un des attraits du GR5. Mais question cruciale : dans quel sens réaliser cette traversée ! Du Nord au Sud ou du Sud au Nord ! Voici pour répondre à cette question vitale et à toutes les autres, 2 récits passionnants diamétralement opposés réalisés à 15 jours d’intervalle ! Nicolas Selfslagh se lance pour une première expérience en solitaire de Briançon à Nice et Pierre et Catherine Bivoit, des routards de longue date, partent 15 jours plus tard dans l’autre sens…..
la rédaction
De Briançon à Nice
Premier sur le GR5 cette année ! (Et je n’en suis pas très fier…)
J’avais projeté il y a quelques années de parcourir le GR5 depuis le lac Léman jusqu’à la mer Méditerranée, et en 2015, j’avais randonné 7 jours depuis St Gingolph sur les rives du Léman jusqu’à Chamonix. Je voulais profiter de vacances qui m’avaient été attribuées début juin pour continuer le GR5. Malheureusement, les amis qui auraient pu m’accompagner ne pouvaient se libérer ou avaient d’autres projets de voyage et je me décide donc à partir seul. Je partirai cette année de Briançon vers St Sauveur de Tinée en sautant l’étape de la Vanoise où les refuges sont encore fermés à cette époque et les bivouacs ne sont pas autorisés. Le site dédié à la traversée des Alpes recommande bien de ne pas partir seul et d’éviter de partir avant la mi-juin du fait des névés présents à moyenne altitude. Avec mon expérience (8 jours de randonnée en solitaire…), je me convaincs qu’en emportant des crampons et en prévoyant un plan B s’il s’avère que le passage des cols est impossible, cela ne devrait pas poser de problème. La réalité du terrain allait vite me donner tort…
Fin mai je rejoins Briançon par le train de nuit depuis Paris.
La première étape doit me mener à Brunissard après le passage du col des Ayes à 2477 m. Après avoir un perdu quelques temps à trouver le GR, me voilà parti. Le sentier monte rapidement et après le dernier hameau, des plaques de neige apparaissent sur le bord du sentier. A environ 200 m du col, le sentier disparaît sous la neige. Je m’enfonce de 10 cm dans la neige fondante, puis de 40 cm et même parfois de près d’un mètre. Comme la neige ne porte pas, les crampons ne me sont d’aucune aide. Je progresse pas-à-pas vers le col que j’atteins épuisé et avec le cœur qui tournait dans la zone rouge durant la dernière demi-heure. Le versant sud est totalement dégagé et c’est pourquoi, la plupart des randonneurs que je rencontrerai empruntent l’itinéraire dans le sens sud-nord en début de saison. Après deux heures de descente, me voilà arrivé à La Chalp où je trouve un gîte ouvert. J’ai réussi à passer le col et à dépasser mon but de la journée. C’est bon signe pour la suite. Méthode Coué, dites-vous ?
L’objectif du second jour est le village de Ceillac via le col Fromage à 2301m. Longue étape avec une descente impressionnante vers Château Queyras avant la montée vers le col Fromage que je passe sans souci. J’arrive à Ceillac, petit village avec deux boulangeries, une épicerie, un restaurant, un bar, un gîte et une église. Tous fermés, sauf l’église… Je continue donc et après une heure, je trouve enfin un endroit pour bivouaquer.
La difficulté du jour pour cette troisième étape sera le passage du col Girardin à 2700 m, 200 m plus haut que le col que j’avais franchi avec beaucoup de difficultés le premier jour. Après avoir rangé le bivouac, j’entame la montée vers le col. Vers 2200 m, les premières plaques de neige apparaissent, puis les névés qui recouvrent le sentier. Au lac St Anne, la traversée des névés devient très laborieuse, les pieds s’enfoncent de 30 cm à chaque pas. Je vois le col en haut d’un versant blanc immaculé. Je monte pas-à-pas, demi pas à demi pas plus exactement, mais la traversée des névés est très difficile. Je contourne les névés, mais les marques du GR sont recouvertes et il n’y a pas la moindre trace de passage d’autres randonneurs. Je chausse mes crampons et je parviens à marcher quelques mètres avant de percer la croûte de neige et de m’enfoncer jusqu’à la taille. Il faut se rendre à la raison, cela devient dangereux et je prends la décision de rebrousser chemin. Je redescends vers Ceillac, le moral dans les chaussettes gorgées d’eau…
De retour à Ceillac, je prends la décision de contourner le col par la route dans la vallée et d’essayer de rejoindre le but de mon étape par la route. Le bus communal ne passant pas hors saison, je fais du stop et après plus de 50 km parcouru en voiture et à pied, j’arrive à St Paul sur Ubaye au pied du col Girardin… Belle leçon d’humilité. La montagne est un milieu difficile, exigeant et dans lequel il ne faut pas s’aventurer sans une bonne préparation.
Le quatrième jour, deux cols sont au programme pour rejoindre Larche: le col du Vallonet (2524 m) et le col de Mallemort (2558 m). Je repars frais et dispos après une nuit très confortable dans le gîte “La Souste” de St Paul sur Ubaye. La montée vers le premier col est difficile, mais il y a des zones libres de neige sur le versant qui limitent les traversées de névés. Arrivé au sommet, je m’aperçois que le versant sud est également couvert de neige et que la trace du sentier est invisible… J’ai les cartes au 50.000ème de la balade du TopoGuide et la carte IGN au 100.000ème. Enfin, pour être exact, des photos prises avec mon portable (pour limiter le poids dans mon sac). Inutile de dire qu’avec ces photos et ma boussole, je ne peux trouver qu’une direction très approximative… Quel soulagement après une vingtaine de minutes de trouver une marque sur un rocher, puis, une demi-heure plus tard, le sommet d’un poteau indicateur du GR de 2 m dont les 20 derniers cm dépasse de la couche neigeuse. Peu après je vois les anciens baraquements qui se trouvent au pied du col. Montée sportive et arrivée au col suivi d’une descente vers Larches où refuge, magasin et restaurant sont… fermés.
Je continue le sentier jusqu’à l’entrée du parc du Mercantour où je consulte le panneau d’informations. Le GR passe par le Pas de la Cavale (2670 m) qu’on voit au fond de la vallée en haut d’un versant totalement enneigé. Après mes aventures précédentes, je me rends compte qu’il est inutile d’espérer passer ce col. Suit un bref moment de découragement, puis je remarque sur le plan du parc un sentier dans le Parco naturale de Alpi Maritime, voisin du Mercantour et qui permet de rejoindre le GR5 en passant le Colle de Pourriac à 2506m.
Je prends rapidement la décision de quitter le GR pour passer par ce col. Après avoir prévenu ma famille du changement de route et avec des photos du plan du parc sur le panneau, je me dirige vers le col de Larche et je bivouaque près du Lago di Madallena.
Le lendemain, après quelques difficultés pour trouver le début du sentier balisé par des marques rouges, je m’engage dans le parc côté italien. Le sentier longe un torrent dans un décor somptueux, puis monte rapidement et traverse des pierriers escarpés. Je dois, à deux reprises, traverser un couloir enneigé dans une pente raide. Je chausse mes crampons pour être sûr de ne pas glisser et de risquer une chute au bas de la pente dans le torrent. Ce qui ne m’empêche pas de glisser en retirant mes crampons. J’arrive bientôt en vue des sommets dans une zone fortement enneigée. Le sentier disparaît sous la neige et j’essaye de progresser en essayant de retrouver des marques dans les zones dégagées. Aucun repère visible ne me permet de m’orienter avec les photos prises du panneau à l’entrée du parc. Étant encore trop loin pour déterminer où le sentier passe la ligne des sommets, je cherche en vain une marque pendant plus d’une demi-heure en progressant dans la neige molle où je m’enfonce souvent de 20-30 cm.
Revenu à la dernière marque, épuisé par cette marche dans la neige, je m’apprête à renoncer et à redescendre quand je vois un poteau au sommet d’une pente enneigée. Je décide d’aller voir s’il s’agit d’une indication du sentier en me donnant une heure limite pour redescendre si je ne trouve pas la trace. Quand je m’approche du poteau, je constate qu’il s’agit d’un vieux poteau métallique rouillé. Rien à voir avec le sentier… Mais légèrement en contrebas, il y a un petit lac. Je vérifie sur la photo prise à l’entrée du parc et je repère celui-ci, à proximité de la trace du sentier. En prenant un azimut, je peux enfin déterminer plus ou moins précisément le passage du col. Après encore une demi-heure de progression dans les névés où je retrouve de temps à autre une marque du sentier, j’arrive au poteau indiquant le col.
J’y suis arrivé, mais durant cette montée vers le col, je me suis rendu compte des risques que j’encourais : seul, à plusieurs heures de tout hameau, sans couverture de réseau mobile, sur un sentier où aucun randonneur n’était passé cette année, même en cas de problème mineur comme une bonne entorse, j’aurais dû attendre 1 ou 2 jours avant que ma famille sans nouvelle de mon arrivée au prochain village ne prévienne les secours en montagne. Et en cas de blessure nécessitant une intervention rapide,…L’autre versant est totalement dépourvu de neige et après la descente, je rejoins le parc du Mercantour et le GR5. La vallée qui n’est traversées que par quelques sentiers est de toute beauté. Seule une petite bergerie abandonnée atteste d’une présence humaine dans ce havre de paix. Après avoir monté au col des Fourches, je descends vers le gîte communal de Bousiéyas sous une pluie battante. J’y passe une bonne soirée avec d’autres randonneurs et jouis d’une nuit reposante avant de repartir pour une courte étape de 15 km sans difficulté qui me mène à St Etienne de Tinée où je loge au gîte du Corboran.
Le prochain gîte sur le sentier est le refuge de Longon, mais l’étape est vraiment (trop) longue, 31 km avec 2000 m de dénivelé et le passage d’un col à 2500 m. Je me lève à l’aube et je démarre à 5h45’ avec comme objectif de passer le col de Croussette. Je me suis renseigné et je sais que des randonneurs l’ont déjà franchi cette année. J’aurai donc une trace qui m’aidera à le franchir.
Malgré cela, la pluie battante et le brouillard près du sommet rendent le passage difficile. Après le sommet, le balisage est un peu spartiate et, sans repère, je passe 20 minutes angoissantes avant de retrouver le sentier. S’ensuit une traversée sous la pluie d’un désert minéral sans la moindre possibilité de planter une tente. J’avance bien et, vu la météo, j’aimerais bien atteindre le refuge pour passer la nuit au sec.
Mais, vers 17h, après plus de onze heures de marche dans des conditions éprouvantes, je dois me rendre à l’évidence, je n’y arriverai pas. Il me reste encore 2h30’ de marche. Le sentier traverse un plateau couvert de végétation et je me décide à planter la tente.
La pluie cesse et je m’endors comme un loir après avoir mangé.
Lever dans un décor paradisiaque avec le soleil qui réchauffe (et sèche) la tente, toilette et petit déjeuner avant de replier le matériel et repartir pour la plus courte étape de ma randonnée (5 km): rejoindre le refuge de Longon. Le refuge est tenu par une famille avec quatre enfants qui vivent en alpage de mai à octobre. Le seul moyen d’y accéder depuis la vallée est un sentier muletier.
Je profite de cette journée pour me balader aux alentours du gîte, voir la faune et la flore qui s’éveille dans les Alpes. Le lendemain, je quitte le parc du Mercantour et je descends vers St Sauveur de Tinée, terme de ma rando en suivant le sentier muletier. Après une nuit à l’hôtel, je prends le bus vers Nice d’où je rentre en avion vers la Belgique.
Cette année, durant cette deuxième randonnée sur le GR5, j’ai parcouru en 8 jours 160 km, avec environ 12.000 m de dénivelé. Je reviens de cette rando avec des souvenirs impérissables : découverte de la nature et de la faune des parcs du Queyras et du Mercantour, rencontre avec (quelques) randonneurs et les responsables de gîtes et de refuges, dépassement de soi dans une rando engagée,…
Mais, je me suis aussi rendu compte des risques que j’ai courus, et même si les conseils de prudence prodigués par les instances officielles s’adressent à tous, promeneurs du dimanche et randonneurs expérimentés ou non, j’en retiens qu’il ne faut pas s’engager en montagne à la légère : même sur un sentier balisé, une carte précise ou un GPS avec le tracé est nécessaire (topoguide, carte IGN à échelle réduite, application smartphone avec carte disponible hors connexion (Sitytrail,…) ou GPS de rando). Cela vous permettra de confirmer votre position en cas de doute, de retrouver le sentier ou de dévier de celui-ci si nécessaire.
Si vous randonnez hors saison ou sur des sentiers où vous risquez de ne pas rencontrer d’autres randonneurs et sur des itinéraires sans couverture de réseau mobile, partez au minimum à deux afin de pouvoir prévenir les secours en cas de problème.
Avec ces précautions, une bonne préparation physique et un équipement léger et fiable, l’expérience d’une randonnée de plusieurs jours est inoubliable. Je ne peux que vous la recommander.
Nicolas Selfslagh
Le GR5 en pente douce de Nice à Briançon
L’âge et la fréquentation des échoppes d’Esculape et d’Hippocrate réunies vous conduiront peut être un jour à une évidence: « Ce qu’il vous faut, mon vieux, maintenant, c’est une activité raisonnable pour ménager votre organisme ».
Fort de ce docte conseil, pour nos vacances, une randonnée me semble tout à fait opportune. D’ailleurs j’ai toujours considéré que la marche est une affaire d’oisiveté. Le marcheur ne fait rien de sa journée, ne produit rien et lorsqu’il ne mange pas, il se contente d’observer le paysage qui défile sous ses yeux. La patience est son carburant: il lui suffit, pour atteindre son but, d’attendre le temps nécessaire.
Dites: « randonnée », l’écho vous renverra « Compostelle ». Pour dix amateurs de coquille Saint Jacques, je n’ai connu qu’un couple d’arpenteurs du GR5, assurément moins fréquenté que l’autoroute pour la Galice.
C’est donc sur une partie de ce chemin qui va de la Méditerranée aux Pays Bas en traversant les Alpes que nous choisissons d’évoluer.
Choix et Options
– Nous remonterons de Nice à Briançon ce qui laissera le temps à la neige de fondre au fur et à mesure que nous gagnerons vers le Nord.
– Nous dormirons et mangerons dans les gîtes ou les refuges.
– Nos sacs pèseront moins de 10 kg, eau comprise.
– Les étapes difficiles, les vallées urbanisées, se feront en bus, en stop ou en taxi; nous ne garderons pour nos mollets que les traversées des massifs.
16 juin: de Saint-Sauveur sur Tinée à Roure
Saint-Sauveur sur Tinée : un bus nous y conduit depuis Nice, il nous faut attendre que diminue l’ardeur du soleil pour commencer à marcher en direction de Roure.
Le sentier qui a relié les deux villages durant des siècles est maintenant contourné par la route. Il y a dans cette ancienne voie muletière autant de travail que dans une cathédrale. C’est une escalade de cailloux soigneusement organisée avec à intervalles réguliers, un caniveau pour dévier l’eau.
Et puis, 600 m au-dessus de Saint-Sauveur, Nous pénétrons dans Roure aux maisons de pierre accrochées à la falaise.
17 juin: de Roure au Refuge du Longon
Refuge du Longon, vacherie de Roure. Le couple de gardiens, leurs quatre enfants, leurs troupeaux et un berger passent ici tout un été. Rapidement la conversation porte sur le Loup que nous aimerions tellement voir et qu’ils aimeraient tellement voir… disparaître.
Autour du traditionnel et somptueux repas dont on parle sur tout le GR (ceux qui montent préviennent ceux qui descendent et vice-versa), les langues n’ont pas de mal à se délier. Il y a les trois copines qui marchent en jupe vers la Méditerranée. Fred, le Toulousain qui vit aux Baléares, parti pour le Tyrol. Jean-Luc qu’il a convaincu dans l’heure (le vin rosé?) va le suivre aussi loin qu’il pourra.
18 juin: du Longon à Roya
Zut, voilà un moment que je n’ai pas vu les marques blanches et rouges. Nous avons manqué le col des Moulines. Demi-tour : une heure de perdue sur la journée qui risque d’en compter trop peu.
Au col de Crousette, vers 14h, il nous reste 1000 m de descente sur un mauvais chemin encombré de blocs.
Nous terminons, épuisés au gîte de Roya que Marie Claude gère avec brio. Elle anime le repas derrière son bar comme un personnage de marionnette qui ferait de sa vie un sujet de comedia del arte.
Extrait de son répertoire : seule fille parmi onze frères, c’est elle qui a hérité du fusil paternel. Elle s’en sert pour dégommer les sangliers qui passent sous sa fenêtre. Elle en fait du pâté et de la daube. Avec la daube elle invite la maréchaussée qui ferme les yeux sur son tripot.
19 et 20 juin: de Roya à Saint-Etienne de Tinée via Auron
La montée vers le col du Blainon est confortable et régulière, nous la parcourons sous un beau soleil printanier. Puis nous descendons doucement vers Auron, la station de sports d’hiver des Niçois. Soudain, le paysage est bouleversé au profit des pistes de ski et de VTT. C’est massacre à la tronçonneuse et au bulldozer.
Un sentier difficile, couvert de cailloux qui roulent sous les semelles, une « vraie punition » nous conduit à Saint Étienne de Tinée. Nous nous y offrons une journée de repos à l’ombre de ses vieilles maisons.
Les conquérants :
Sur la route du plus haut col routier d’Europe (Col de la Bonette 2715m), Saint Etienne n’échappe pas au ballet incessant des bikers. Les hordes cuirassées et casquées prennent d’assaut les terrasses des cafés. Abreuvée, la meute retourne à ses montures dont elle tire des vrombissements assassins, façon d’affirmer la suprématie des conquérants du bitume sur le bipède moyen. Voilà les nouveaux héros de Cervantès, dont il ne subsisterait que des descendants de Sancho Panza chevauchant des Rossinantes mécaniques.
21 juin: de Saint Delmas à Bousieyas
Un taxi nous conduit à Saint Delmas.
Nous grimpons allègrement vers le col de la Colombière. Nous nous félicitons de notre choix d’un itinéraire Sud-Nord: le matin, avant que le soleil ne se montre trop ardent, nous grimpons l’adret (sud) peu boisé et dévolu à l’agriculture. L’après-midi, nous descendons sous le couvert ombragé des arbres de l’ubac (nord).
Un tichodrome échelette! Nous observons longuement cet oiseau peu courant, au dessous des ailes rouge et qui semble grimper le long des falaises. Ornithologie, botanique et géologie, égaient notre marche.
Au gîte de Bousieyas, Claude et son épouse accueillent leurs hôtes avec sérénité et gentillesse. Ils nous servent un repas digne du « gastro » qu’ils tenaient autrefois. Le repas terminé, à la longue vue nous observons un troupeau de cerfs et un nid de Gypaètes barbus. Et pas question de faire la vaisselle pour remercier nos hôtes!
22 juin: de Bousieyas à Larche
Un taxi nous fait gagner le camp des Fourches et une heure de montée dans les lacets du col de la Bonette. Le sentier qui grimpe dans la falaise nous fait passer du Mercantour à l’Ubaye par le Pas de la Cavale à 2600m.
Un grand névé nous attend.
A la montagne, comme à la ville, les cols sont souvent blancs…On passe par les premiers, on repasse les autres.
Longue descente vers Larche par les lacs de l’Homme et du Lauzanier.
23 juin: de Larche à Fouillouse
Nous enchaînons : col de Mallemort, col du Vallonet. Des sources jaillissent un peu partout, l’alpage se couvre de fleurs. J’aime trop la baguette fraîche et la lecture de mon journal le matin pour devenir, comme Sylvain Tesson sur les rives du Baïkal, l’ermite d’un hiver. Et pourtant ces lieux isolés et enchanteurs offrent au solitaire naturaliste la possibilité d’un long séjour bien loin des « réseaux sociaux ».
Nous arrivons à Fouillouse : quelques grosses fermes le long du torrent dans une gorge étroite. Nous logeons aux « Granges » où on imagine familles et bétail passant autrefois la mauvaise saison en autarcie sous la neige qui fermait la vallée.
24 juin : de Fouillouse à Ceillac
Un taxi nous dépose à Maljasset. Je confonds une église avec une chapelle et, mis en confiance par un vieux panneau qui indique « Ceillac», nous nous mettons en marche. Nous grimpons; déjà 200 m et le doute s’installe. Tout porte à croire que nous sommes en direction du col du Tronchet au lieu du col Girardin, ce qui reviendrait au même mais aucune marque n’est là pour le confirmer. Continuons ! Alea jacta est… Si je me suis trompé, j’écrirai Rubicon en deux mots dans mon journal! Ici une source, maintenant une bergerie… autant d’indices en faveur du Tronchet que nous atteignons vers midi.
Un cerf croise notre route, un aigle nous survole. Plus original, un traquet motteux poursuit et pique une jeune marmotte. En veut-il à ses parasites, ou dérange-t-elle son nid ?
Nous voilà à Ceillac, nous sommes passés de l’Ubaye au Queyras.
25 Juin : De Ceillac à Brunissard
Il a plu toute la nuit. Des voiles de brume s’accrochent aux branches des mélèzes. Un gros lièvre semble aussi surpris que nous. Nous grimpons sur un sentier de jardin public lisse et régulier.
Col Fromage. Un curieux bâtiment nous domine. Il s’agit d’un des derniers postes optiques qui, par beau temps permettait la transmission de messages de Paris à Nice en moins d’une journée.
Maintenant il faut aborder un sujet délicat. Dans notre pays, au XXIème siècle, ces montagnes reculées sont encore le théâtre d’épouvantables cas d’anthropophagie! L’habitant ne saurait être mis en cause. Le loup, omniprésent, non plus. Un doute subsiste quant à certains patous de bergers que les marcheurs redoutent. Non, l’auteur de ces scènes sanglantes sur des bras et des mollets dévorés tout crus, c’est le redoutable taon des alpages. Ce Dracula volant a fait de mes jambes sa cantine où il troque une ration d’hémoglobine pour une dose de poil à gratter qui me fera de l’usage durant plusieurs jours.
Pour nous la journée se termine à Château-Queyras, au pied de la forteresse qui ferme lorsque nous arrivons. Par contre nous sommes à l’heure pour attraper le bus de Brunissart.
26 juin : de Brunissart à l’happy end : Villar Saint Pancrace près de Briançon
Déjà la fin?
Une partie du trajet s’effectue sur des pistes carrossables et des routes peu fréquentées. C’est surtout une journée de rencontres.
La première, tout au début en traversant un camping. Un sexagénaire jovial et court-vêtu fait irruption hors de sa tente, un rouleau de papier à la main. Où allons-nous? Plus loin que lui, certainement ! Et de conclure « A chacun sa destinée ! »
D’un épouvantail époumoné qui court plus qu’il ne marche, nous n’attendons qu’un bref salut. En fait, nous saurons tout en quelques minutes: qu’il a des soucis de tendinite, qu’il téléphone deux fois par jour à sa femme, qu’il est parti de Thonon, qu’il va abandonner la tente pour les refuges… Puisse la marche lui faire trouver la sérénité.
Enfin, un gros chien qui promène une dame au bout de sa laisse. Elle semble parfaitement apprivoisée et veut tout savoir de notre voyage, les cartes, les étapes, le matériel. Pour son mari nous dit-elle…et Médor ?
Villars Saint Pancras au pied de Briançon, nous retrouvons notre voiture.
Fin de l’aventure !
Et pas question de nous reposer, après tant de jours à ne rien faire !
Pierre Bivoit