• Carte Biche

    Le toit de Beez

    une fissure horizontale de plusieurs mètres réalisée en libre par les grimpeurs américains.

    Une fissure semblable existe-t-elle en Belgique ??? Absurde ? Pas tout à fait…Bibiche découvre le «toit de Beez», une fissure monstrueusement déversante dans un porche sombre et humide à droite de la carrière de Beez. Arnould t’Kint et des amis en font l’escalade
    Et quelques mois plus tard, en compagnie de Michel Lévèque, Marc Debruycker, nous réaliserons la troisième ascension. Une cheminée sur la gauche donne accès à une traversée à pitonner dans une fissure de quelques millimètres entre le toit et une grosse strate de ± 1m d’épaisseur. Cette traversée permet d’atteindre la fissure de rêve au centre du toit……
    Deux ans plus tard, la strate de la traversée s’effondre et se retrouve 10 m plus bas….rendant l’accès à la fissure impossible.
    25 ans plus tard…Vincent Foret se replonge dans le mystère à la recherche d’un nouvel itinéraire…..
    Lambert Martin

    LA BICHE PARTIE 1
    Par Vincent Foret, samedi 22 janvier 2005 à 17:00 :: Artif :: #13 :: rss
    Depuis longtemps, nous traversions régulièrement le viaduc de Beez pour rejoindre notre terrain de jeux favoris : l’Ardenne. Aujourd’hui encore je regarde, à chaque fois, le rocher droit comme une proue, que l’on aperçoit furtivement à gauche. Un jour, j’ai garé ma voiture au pied de la carrière et j’ai grimpé dans le talus pour arriver au pied des rochers. Le talus est une longue avalanche instable de pierres de toutes tailles. Arrivé presque au sommet, sur un replat en forme de cuvette, j’avais devant moi un grand porche rocheux. À sa base, deux départs, béants, de galeries.
    Le porche est très bien caché par les arbres, on ne peut voir que la falaise déversante depuis le bas de la route. Dans le toit, on trouve une fissure large comme un poing qui la parcoure totalement. J’étais séduit par l’ambiance des lieux, très austère, très sauvage. Il y a un goût de mystère, un parfum d’interdit émanant d’une situation géographique particulière qui le place tantôt dans une nature sauvage et hostile, tantôt le rapproche de la vallée et de la proximité des humains. N’est-ce pas, encore une fois, un rocher où l’escalade est interdite car trop proche de la route. Comme il n’y a aucun avertissement je préfère me dire qu’elle y est tolérée.

    J’y suis revenu plusieurs fois au fils des ans, toujours seul, admirant l’endroit mais ne sachant pas comment attaquer le morceau. Plus tard j’ai appris que cet endroit s’appelle le « toit à Bibiche » ou « toit de Chetoi ». Il y a dans ce porche des traces évidentes de voies précédemment ouvertes. On retrouve deux ou trois clous sur le pilier de droite, une ligne de spits montre la seule voie ouverte encore en place. Dans un autre pilier, à gauche du porche, un relais subsiste juste sous le toit, témoin d’une ancienne voie probablement d’artif. Il s’agit en fait d’une simple sangle blanchie par le soleil reliant deux clous dont on dira qu’ils sont « pittoresques ». Il est évident que j’avais envie de parcourir le toit mais je pensais que je n’avais pas la capacité de le faire, surtout en escalade libre.
    Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, puis un jour, j’y ai emmené un ami de mon club de spéléologie. Nicolas Borchers a tout de suite été séduit par le lieu, par le toit et par la voie évidente que l’on pouvait tracer. De plus nous étions dans un trip « escalade artificielle ». Je venais de répéter le toit du buffle qu’il avait rééquipé, en compagnie de son pote Fix de Ruydt, entièrement sur goujons inox. Ils avaient réactualisé cette bizarrerie incontournable, de Richard Grebeude & Johnny Leirens, (A1, mais quelle ambiance !) de l’escalade artificielle belge et de manière salée puisqu’ils avaient allongé la distance entre les points grâce à la barre « stick-up » de chez Raumer. Nicolas était à l’époque une des seules personnes, hormis Stéphane Nicolas & Richard Grebeude, que je connaissais en Belgique intéressée par cette discipline fort étrange, dont l’engouement semblait renaître : l’escalade artificielle. Nos modèles se nomment Warren Harding, Royal Robbins ou Yvon Chouinard alors que ceux de la plupart des grimpeurs belges se nomment Patrick Edlinger, Chris Sharma, Dave Graham ou plus rarement Wolfgang Güllich.
    Acte I: samedi 24 mai 2003 nous sommes revenus une première fois sur les lieux, avec du matériel approprié. Nous avions emprunté une série de coinceurs, rassemblé une grande quantité de sangles et nous avions fabriqué une très grande quantité de coins de bois qui, nous le sentions, allaient pouvoir prouver leur efficacité dans le « roof » en haut du « head wall ».
    L’endroit où se trouve notre projet n’est pas un porche naturel, il s’agit d’une ancienne carrière utilisant une méthode d’exploitation de la roche, typique en Wallonie, au 19e siècle. Les carriers creusaient des galeries en bas des parois (pics et poudre noire), en prenant soin de laisser des piliers, puis ils faisaient exploser ces piliers et la roche tombait sous son propre poids. Dans ce cas-ci, bizarrement le porche n’est jamais tombé. Pourtant il est clair que l’ensemble du porche est en train de s’écraser sous son propre poids. Ce qui provoque des zones de roche soumises à d’énormes contraintes, des pressions astronomiques qui provoquent littéralement l’éclatement des strates inférieures et qui finissent par s’ébouler. De la charpie de roche. Cette dynamique est particulièrement visible dans le surplomb que nous allons grimper. Il est certain, qu’un jour, ce porche n’existera plus.
    À première vue, il y avait une quantité impressionnante de roches prête à tomber dès la moindre sollicitation, La première demi-heure fut consacrée à la stabilisation des strates les plus basses du site. Nous avons fait tomber un maximum de pierre branlante en jetant des cailloux dans le surplomb. C’était particulièrement impressionnant. Quel chaos ! Puis Nicolas s’est encordé. Il s’est chargé de beaucoup de matériel, de quoi envisager l’attaque d’un El Cap made in Belgium. Le point de départ, évident, se situe sur le pilier central. Et la quincaillerie s’est mise en action. Dès le deuxième piton planté, nous nous sommes rendu compte de l’ambiance sulfureuse de cette voie. Il y a une abondance de fissures pour planter les pitons, ancrer les friends et caler les coins de bois, mais il y a aussi quantité de blocs qui bougent. Très vite nous nous sommes aperçus qu’il ne faut pas planter deux pitons dans la même fissure ! On risque de voir à tout moment le premier piton lâcher lorsque le second s’enfonce et écarte la roche. Pas cool.
    Après cette petite mise en jambe, trop compliquée, Nicolas récupère les deux premiers pitons qu’il a plantés et esquive par la droite du pilier avec un pas d’escalade libre. Au sommet du pilier, une petite plate-forme permet d’être à l’aise. En arrivant là-haut, Nicolas envoie une grande quantité de sable et de roche dans le vide afin de se mettre confortablement en position pour attaquer le toit. C’est à cet endroit précis que repose tout le poids du porche. À droite et à gauche se trouvent des tonnes de roche soumise à d’énormes pressions, c’est une véritable mille-feuille.
    Il trouve la place pour enfoncer deux pitons assez solidement, formant une espèce de relais plutôt solide. Ayant enfoncé un second piton à bout de bras dans une strate horizontale pas très fiable, il glisse tout doucement sur ce piton, puis en plante un à nouveau un demi mètre plus haut. La logique de l’escalade artificielle se met en place. À peine hissé sur le clou, Nicolas cherche à placer un nouveau point de protection. À sa gauche, un bloc semble le narguer, Nicolas le déloge. Bien vite le bloc se retrouve dans la caillasse en bas du porche. C’est à cet endroit que Nicolas décide de placer un crochet sur une réglette absolument plate, aussi horizontale et lisse que le comptoir d’un bar ! Tout doucement il se hisse sur le crochet, à l’aide de son fifi, tout en se stabilisant sur la roche. Miracle, le crochet semble tenir tranquillement, aucune pierre n’est tombée de cette zone instable. Cette implantation « relativement stable », pendu sur ce crochet lui permet d’enfoncer un coin de bois. Le coin de bois éclate lentement sous la force des coups de marteau. Un autre semble se résigner et accepte de supporter le poids de Nico. Un piton lui permet ensuite d’arriver à la hauteur d’un trou qui nous semble rempli d’un pieu de bois.
    Il n’en est rien, ce n’est qu’une toile d’araignée qui obstrue le trou. Nicolas décide d’y placer piton est choisi assez rapidement d’y transférer son poids. Tout doucement je l’observe, déportant son poids d’un étrier à l’autre tout en faisant coulisser son fifi. Puis tout à coup, c’est l’accident. Le piton lâche… Je vois Nicolas brusquement tomber la tête en arrière. Quelques pitons cèdent au passage. C’est LA grosse frayeur. Nous n’avions pas emmené de casque. Un ou deux pitons au-dessus de la plate-forme du pilier ont tenu le coup, arrêtant la chute. Nicolas pend la tête en bas presque à mi-hauteur du pilier. Je le fais descendre tout doucement espérant que les deux pitons encore en place tiennent le coup. Tout va bien, il n’est pas blessé, les pitons en s’arrachant ont absorbé «dynamiquement» la force du choc. Arrivé au sol, nous pensons à la nécessité absolue d’un casque la prochaine fois, nous décidons de nous assagir et nous quittons calmement les lieux. Comme il n’est que deux heures nous décidons d’aller grimper calmement à Goyet… Mouvement stratégique.

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