La voiture passe en fonçant, sans même ralentir. Où sont donc passés les hippies d’antan ? Mon sac à dos pèse bien lourd sur les épaules. Je me retourne et continue à marcher. Ça fait onze jours que je voyage pour être ici, ce ne sont pas les derniers 140 km qui vont m’arrêter. S’il le faut, je les marcherai! On n’est pas à quelques jours de marche en plus !
Piedra Parada: la roche debout
C’est la sixième fois que je viens en Argentine et à chaque fois, j’avais prévu d’y passer. C’est une étape idéale entre El Chalten et Bariloche, et je n’y suis jamais allé. L’endroit est difficile d’accès sans voiture. Lorsque j’ai entendu que le prochain Petzl Roc Trip allait avoir lieu là, je voulais absolument y participer comme je pouvais. J’aime l’Argentine et les Argentins sont vraiment « Buena onda » (bon esprit)! Au cours des années, je me suis fait tant de bons amis ici, j’ai appris beaucoup d’eux. Je compte bien y revenir.
Pour préparer le terrain pour le Roc Trip, Petzl organise un voyage «d’ouverture » en mars. Une vingtaine d’athlètes Petzl se sont proposés comme volontaires pour y aller en quête de lignes majeures et les préparer à la grimpe. Mais notre expédition dans la jungle vénézuélienne à Amuri Tepui ne m’a pas permis d’y être avant fin mars. Je suis néanmoins déterminé à y aller.
Après avoir terminé notre challenge sur les grandes parois du Venezuela, nous avons marché trois jours à travers la jungle et la savane en portant des sacs à dos bien lourds de la paroi jusqu’au petit village de Yunek (100 habitants). Puis, trois jours sur un petit bateau en montant et descendant des rivières et en sortant régulièrement pour tirer le bateau. De Santa Helena, un trajet en bus de deux jours, d’abord jusqu’à Ciudad Bolivar pour reprendre le matos laissé là, et ensuite à Caracas, capitale du Venezuela. Encore une journée pour le vol jusqu’à Buenos Aires, et un trajet en bus de 20 heures jusqu’à Bariloche. Ici, je passe une nuit pour saluer quelques amis (entre autre Silvia Vidal, sur le chemin de retour pour l’Espagne après une expédition au Chili où elle a passé 31 jours seule en paroi!!). Le lendemain, un autre bus de cinq heures m’amène à Esquel, la ville la plus proche de Piedra Parada. Il y a un seul bus par semaine allant d’Esquel à Piedra Parada, et il se fait que ce n’est pas le jour où je suis arrivé … Pour le Petzl Roc Trip qui se passera en Novembre, Petzl organisera le transport pour arriver sur place facilement, mais aujourd’hui je suis coincé! Il y a trois heures, je pensais que le stop devrait bien fonctionner, mais c’était avant que toutes ces voitures me dépassent dans ce paysage désertique.
Au Venezuela c’était incroyable!
Certainement la paroi la plus déversante que j’ai jamais grimpée! Chaque longueur était surplombante! Nous y avons ouvert deux nouvelles lignes en passant chaque fois une dizaine de jours en paroi. Du grès et du quartzite parfait, avec beaucoup de fissures horizontales et des toits escarpés.
Un camion!
D’expérience, je sais que les camions ne prennent généralement pas les auto-stoppeurs, et là je suis assez désespéré. En réponse à mon pouce, je n’obtiens que de la poussière pendant que le camion passe en vitesse. Le soleil se couche, et il fera bientôt nuit. J’ai tout ce dont j’ai besoin sur le dos et je me prépare mentalement pour un bivouac en bordure de route.
L’escalade au Venezuela était très physique avec de grands mouvements, parfois sur des grosses prises, et en général de bonnes protections. La première voie « Maria Rosa » est totalement clean, nous n’y avons mis aucun spit et ça doit tourner aux environs de 7b. Dans la seconde voie, nommée « Apichavai » d’après un fameux guerrier local qui a tué le grand monstre, l’aigle géant qui hantait cette région, nous avons placé cinq spits. L’escalade était difficile! La ligne va droit dans un grand mur lisse, intimidant et qui semblait très improbable. Nous étions sûrs que ça ne passerait pas, mais l’appel de l’aventure fut le plus fort. On a réussi à la libérer à ± 8a +. On a dû bien se donner et j’ai pris beaucoup de chutes mémorables, dont la plus grande dans ma vie : 40 m. Heureusement, le mur était tellement surplombant que je ne me suis pas blessé, mais mon assureur, Jean-Louis Wertz, a eu de sales brûlures aux mains en tenant les cordes, et n’a plus pu grimper pendant le reste du séjour. À une autre occasion, j’ai pris un beau vol en me retenant à une grosse plante de la taille d’une petite voiture, qui a décidé qu’elle n’allait pas rester attachée au rocher avec mon poids… Trouver une ligne possible était difficile. Plusieurs fois, il nous est arrivé de ne grimper qu’une seule longueur par jour. Quatre jours d’affilée, nous nous sommes préparés pour aller au sommet pour nous faire arrêter un peu plus haut et nous retirer épuisés à notre camp de portaledge(camp suspendu dans la paroi). Néanmoins, ce fut une bonne aventure! Expérience magique: la roche, l’escalade, être en paroi avec de bons potes, la jungle, les indigènes, jouer de la musique, les animaux, et ce sommet unique…
Une petite camionnette blanche apparaît à l’horizon.
Probablement un bus scolaire. Sans conviction, je sors le pouce. Il ne va pas s’arrêter. C’est normal, le bus est plein d’enfants et le chauffeur ne peut pas se permettre de prendre des auto-stoppeurs. Les enfants dans le bus me font des signes avec enthousiasme pendant qu’il passe. Soudain, le bus s’arrête, sans doute pour laisser sortir quelques enfants qui vivent dans le coin. Il n’y a pas de maison à proximité, mais leurs parents viennent sans doute les chercher ici. Les enfants continuent à me faire des signes avec beaucoup d’enthousiasme par la fenêtre arrière. Tout à coup, des visages familiers et souriants sortent du bus: c’est l’équipe Petzl!! Dans la vallée de Piedra Parada depuis trois semaines, aujourd’hui ils ont décidé de prendre un jour de repos à Esquel! Je ne crois pas à ma chance! Ils étaient assez surpris de me voir marcher sur le bord de la route! « Je pense que c’est Sean sur le côté de la route», a déclaré Lafouche au conducteur. Sourires, saluts, rires et tout d’un coup je ne devais plus me préparer à un bivouac en bord de route et à faire encore 120 km à pied!
Piedra Parada est un endroit étonnant, au milieu de nulle part.
Chaque jour apporte un jeu magique de lumières et un paysage époustouflant. La vie y est bien: une ferme, une rivière, un canyon avec beaucoup de rochers …
L’équipe a préparé quelques voies majeures! Et en collaboration avec Aymeric Clouet de France, Siebe Vanhee de Leuven Belgique, et Maty Cicco d’Argentine, j’ai mis en place une ligne dont je peux dire sans aucun doute que c’est la plus belle que j’aie jamais équipée avec spits dans ma vie!! Et de loin! En six longueurs, estimées à ± 6a, 8b?, 7b+, 7b, 8b? et 6c. De l’escalade techniquement très difficile dans un dièdre surplombant et une fine fissure dans un grand toit. Nous n’avons pas encore réussi à la libérer, mais la ligne hante mes rêves! Je suis impatient de retourner à Piedra Parada en Novembre pour le Petzl Roc Trip!
Bonne grimpe ! Et n’oublie pas, si tu ne lâches pas les prises, tu ne peux pas tomber!
Sean Villanueva
(ou si tu le peux, ne lâche pas les prises, ça t’évitera de tomber !)